Les lecteurs de son premier livre, Marathon (Lattès, 2016), recueil de nouvelles consacré aux vies minuscules et magnifiques de coureurs à pied, comme une symphonie autour du même thème, savent déjà combien l'écriture de Pascal Silvestre est fondamentalement musicale (peut-on toutefois imaginer une écriture qui ne le soit pas ?). A cela rien d'étonnant puisque cet homme est musicien, pianiste de formation classique, ayant fait ses études au conservatoire de Grenoble, se produisant encore à l'occasion dans les plus belles salles du pays, Gaveau ou Cortot.

On retrouve donc le conservatoire de Grenoble dès les premières pages de La sonate de Franck, coup d'essai en territoire romanesque plein de maestria et de sensibilité. C'est là que se rencontrent - ils ont 17 ans - Esther et Vincent. Esther, considérée par tous comme la violoniste la plus douée de l'école, entretient volontiers un certain mystère. Le secret lui est un pays, un pays d'enfance, et il doit traîner dans sa mémoire comme des souvenirs de petite fille rousse amatrice d'épiphanies (comme la Bianca gersoise des livres de Kleber Haedens, à qui la lecture de cette Sonate peut parfois faire penser). Vincent, lui, venu d'un milieu très modeste, est un pianiste qui se défie de tout et de tous, et d'abord de lui-même et de ses dons. Ces deux solitaires à qui le monde n'est qu'une promesse vont se connaître, peut-être se reconnaître, et nouer une histoire d'amour lorsque Esther propose à Vincent de préparer avec elle une interprétation en public d'une sonate de César Franck (la sonate de Vinteuil de Proust). Le jour J, la violoniste sera à la hauteur de sa gloire présumée et le pianiste à celle de ses manques... Esther partira vers Moscou, les lumières du monde et d'une carrière magnifique, tandis que Vincent, d'échecs en désastres, reviendra peu à peu au point de départ, Grenoble, le monde désert de sa vie. Ils ne s'oublieront pas pourtant et finiront par se retrouver vingt ans plus tard pour une improbable interprétation de leur sonate fétiche dans une station de ski.

Il faudrait dire de ce roman la tendre et douloureuse sensualité. Les hautes solitudes. Pascal Silvestre l'interprète avec une autorité qui est celle du musicien, mais aussi, déjà, du romancier.