D'un seul trait. De Sempé à Blutch, de Catherine Meurisse à Gabrielle Piquet, Saul Steinberg (1914-1999) a influencé de nombreux dessinateurs et auteurs de bande dessinée, même si son œuvre n'a été que peu publiée en France et qu'il n'a lui-même pas fait de BD. Illustrateur, dessinateur de presse, artiste conceptuel, Steinberg, d'origine roumaine et émigré aux États-Unis au début de la Seconde Guerre mondiale, collabora au New Yorker pendant près de soixante ans, à partir de 1941. Tous en ligne, une collection de dessins réalisés entre 1941 et 1945, la plupart parus dans le magazine, est son premier livre, publié en 1945. On peut y voir trois parties. Dans la première sont réunis des dessins sur la vie quotidienne et la société de l'époque. Ils traduisent l'american way of life, la quiétude de la vie de famille. Plus poétiques que véritablement drôles, ils sont souvent empreints d'absurde, voire abstraits, à l'image de cette pendule qui s'efface au fur et à mesure que le temps passe. Par une sorte de mise en abîme, Steinberg fait de la pratique artistique un motif récurrent. La seconde partie du livre, intitulée « Guerre », comporte des dessins moquant Hitler et Mussolini, insistant sur leur bêtise et les dépeignant (déjà) comme des perdants. Dans la troisième partie, les dessins, plus narratifs, chroniquent la vie des forces américaines à l'étranger. Steinberg les a croquées lors de ses différentes affectations au service de la marine américaine puis de l'OSS. Dans ce passionnant témoignage de première main, il montre l'ennui des militaires qui semblent passer leur temps à attendre, leur étonnement face aux us et coutumes des locaux, la misère qu'ils côtoient avec indifférence, la curiosité qu'ils suscitent chez les enfants...
Tous en ligne est un ouvrage particulièrement important, parce que s'y affirme d'emblée tout le talent de cet artiste d'exception. Il révèle la subtilité, la finesse et la poésie de Steinberg, capable de faire d'une simple ligne un récit en soi. Car avant tout, ce livre permet de découvrir l'économie percutante de son trait, précis, d'une élégance absolue, qui balance entre graphisme délicat (voir le soin apporté aux intérieurs, à leur décoration, aux coiffures en volutes...) et épure extrême. Dire beaucoup avec peu, c'est tout l'art de Steinberg qui, comme le rappelle dans sa préface l'autrice de BD et dessinatrice de presse Liana Finck, se qualifiait lui-même d'« écrivain qui dessine ».
Tous en ligne
La Table ronde
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Juliette Ponce
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 44 € ; 160 p.
ISBN: 9791037116093