Talent à grande vitesse. Les aficionados des éditions Réalistes et de leurs BD de poche au design contemporain vont être surpris : voici venir, toutes couleurs dehors, un album cartonné presque carré, de près de 400 pages, cheminant sur un rail étroit entre livre jeunesse et bande dessinée atypique. Mais tous lecteurs amateurs de narration innovante se doivent de prendre leur billet pour ce voyage inédit : l'originalité de l'univers et du ton de Marly, doublée d'un dessin éclatant, devrait les emballer.

Dans un monde qu'on imaginerait volontiers tiré d'un dessin animé américain de l'entre-deux-guerres, tel les Silly Symphonies des studios Disney, on assiste à la naissance de Marly, une minuscule locomotive, censée prendre la suite de sa fière maman sur la ligne Nord. Hélas, tout le monde le constate, de ses frères machinos à la patronne aux allures de druidesse inquiétante, en passant par les vaches et arbres alentour : elle est riquiqui, cette loco, et surtout terriblement maladroite. Partout où elle passe, les mauvaises surprises s'accumulent ! Comment pourra-t-elle se conformer à la tradition ferroviaire et suivre la voie de sa mère ?

Il y a quelque chose de volontairement suranné et en même temps de très moderne dans le récit et surtout dans les choix visuels d'Emmanuel Lantam. Formé au cinéma d'animation et auteur d'un premier titre chez Réalistes (Gros bisous, 2021), il propose une sorte de synthèse entre le style des pionniers américains du 9^e art, tels Winsor McCay (Little Nemo) ou Richard Outcault (Yellow Kid), et le trait instinctif et virevoltant de la génération Jérémie Moreau. Tout en s'autorisant des irruptions d'un réalisme envoûtant- l'apparition de la sirène géante est mémorable. Et ce, dans une narration variée, en cases classiques ou en double-page façon plan large de cinéma ou illustration de recueil de contes. Quelque chose de singulier flotte ainsi dans cet ouvrage. On peut le lire comme une métaphore de l'enfant qui grandit et doit apprendre à assumer ses choix, tout en luttant pour ne pas renier sa vraie nature et ses envies propres. On peut aussi le déguster comme une balade onirique dans une campagne où tout est possible, surtout la bonne humeur et la magie. Dans l'un comme l'autre cas, on en ressort émerveillé.