Partir enquêter sur la planète nudiste quand, comme l’écrivain et journaliste américain Mark Haskell Smith, on n’a expérimenté la nudité que dans un cadre intime, revient à explorer un pays étranger. Une démarche qui nécessite de mouiller sa chemise, en l’occurrence ici de la tomber. Car Au pays des nudistes est un voyage en immersion où il ne s’agit pas seulement de se baigner nu tout seul sur une plage déserte mais bien de pratiquer le "nudisme social non sexualisé", c’est-à-dire vivre nu en public et en groupe, platoniquement. Du nudisme comme activité sociale. Pendant un an, l’auteur de romans noirs traduits en français chez Rivages, que son goût pour les cultures marginales mi légales, mi réprimées avait déjà conduit à s’intéresser aux cultivateurs de cannabis, s’est donc souvent déshabillé et cela donne un récit entre le gonzo journalisme et la sociologie d’observation participante. Passant du plus sérieux au plus anecdotique (comme dans le chapitre particulièrement cocasse consacré aux différentes modes en matière de pilosité), le récit mélange, avec humour et rythme, rencontres avec des pratiquants et des activistes, rappels historiques, présentation des nombreux manifestes qui jalonnent la défense de la cause pour envisager son sujet sous tous les angles, y compris économiques puisque le nudisme est aussi un business, "une industrie estimée au bas mot à 440 millions de dollars" aux Etats-Unis.
Les aventures de notre reporter au "pays des culs-nus" l’ont ainsi mené des Etats-Unis, où le nudisme fut importé d’Allemagne dans les années 1930, jusqu’en Europe, berceau de mouvements naturistes très populaires. Il a participé notamment à une "randonnue", une semaine de marche en tenue d’Adam dans les Alpes autrichiennes, qui est sans doute, avec la croisière finale dans les Caraïbes en compagnie de 1 800 passagers dans le plus simple appareil, l’expérience la plus décalée de son périple, après les plus classiques séjours dans un camping familial au sud de l’Espagne et dans le célèbre centre de vacances du Cap d’Agde.
Premier constat de ce vaste comparatif : la planète nudiste est hétérogène et propose des options parfois opposées, notamment autour de la question du sexe : écolos versus hédonistes, naturel contre lubricité, hygiénistes et libertaires, hippies et libertins, retraités plage/bronzette et "Naktivist", plus politiques. Jusqu’aux positions qui opèrent des synthèses comme Le nudisme révolutionnaire de l’anarchiste français de la Belle-Epoque Emile Armand pour lequel l’auteur avoue un faible.
C’est souvent très drôle (le journaliste fait surtout rire à ses dépens lorsqu’il expose ses préjugés, ses complexes) et documenté. Très tolérant, questionnant sans juger la conception sociale de la pudeur et du rapport au corps. Séduit, notre "textile" apprenti nudiste ? sans aucun doute. Converti ? non. Mais avec cette visite guidée très complète, le lecteur a lui aussi le choix de choisir son camp.
Véronique Rossignol