Écrire, dit-il. « La littérature me sauva », écrit, à la fin de son livre, Philippe Vilain, avec un passé simple limite, un peu raide, alors que le passé composé « m'a sauvé » aurait été plus fluide. Mais c'est comme cela qu'il écrit, de façon appliquée, en élève studieux qui désire bien faire, s'en sortir à tout prix. Il le reconnaît, et c'est émouvant. Car il revient de loin, Philippe Vilain, né dans une famille de prolos normands, père gratte-papier qui se détruit par l'alcool, mère courageuse, bosseuse, qui finira par rompre et monter à Paris avant que le couple ne se réconcilie sur le tard. Le père est mort en 1999. Le jeune Philippe, lui, fut un cancre jusqu'à l'âge de 19 ans, fainéant, inculte, refusant obstinément de lire (« Lire ne me faisait pas jouir », dit-il), flirtant même avec la délinquance. Et puis, alors en BEP, miracle : il découvre Marguerite Duras. « Duras me parlait. »
S'ensuit une métamorphose. Il passe et réussit son bac pro, s'inscrit à l'université à Rouen, s'embourgeoise avec Sandrine, et, à 21 ans, fan de philo et de théorie littéraire, succombe à la tentation d'écrire à son tour. Un jour, à Paris, il croise Marguerite, rue Saint-Benoît, en compagnie d'un Yann Andréa agacé et peu amène. Il demande à son idole un autographe. Plus tard, il se rendra même à Trouville, dans l'espoir de l'apercevoir. Mais auprès de Duras, la place est déjà prise. Par une suite de hasards, Vilain découvre alors La place d'Annie Ernaux. C'est son père (lequel a entre-temps cessé de boire) qui le lui a offert. Un choc. L'étudiant décide de consacrer sa maîtrise à l'écrivain, il ose lui écrire, elle lui répond. Ils se rencontrent une première fois, au Flore, en octobre 1993. Dès l'année suivante, après une soirée au théâtre, Annie Ernaux, qui désire ce garçon de vingt-neuf ans son cadet, prend l'initiative. Leur relation, de littéraire, se fait amoureuse, passionnée. Elle le bombarde de lettres, vient le voir à Rouen, l'invite chez elle à Cergy, l'emmène partout en voyage, y compris lorsqu'elle est conviée à des manifestations littéraires. Séduisante, dominatrice, elle lui forme le goût, l'initie à l'art de vivre, parfait sa culture. Entre la pygmalionne et son disciple, c'est une forme d'emprise qui s'installe. Leur relation va durer cinq ans, jusqu'à ce que des jalousies, des rancœurs prennent le dessus. Philippe Vilain est devenu à son tour écrivain : L'étreinte paraît en 1997, publié par Sollers chez Gallimard, l'éditeur d'Annie Ernaux. La critique est assassine, sa « mère intellectuelle » ne le défend pas. Il se sent humilié, rabaissé. Il est également choqué par le décalage entre la façon de vivre d'Annie Ernaux, en grande bourgeoise, et ses opinions politiques d'extrême gauche revendiquées. Il n'aimera pas le portrait qu'elle dresse de lui dans Le jeune homme (2022). Il y sent un mépris de classe sous-jacent. Il est également déçu par le milieu littéraire où elle l'a introduit. Elle finit par rompre. Mais, un an après, « veut le revoir et le ravoir ». Pleure, supplie, s'humilie. En vain. Les jeux sont faits. En forme de cérémonie des adieux, Vilain soutient son doctorat ès lettres sur l'œuvre du Prix Nobel 2022. Et il a écrit cette « autofiction sulfureuse », qui fera sûrement grincer quelques dents.
Mauvais élève
Robert Laffont
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 16,90 € ; 240 p.
ISBN: 9782221267097