Profession maternelle. L'amour maternel, cet attachement censément instinctif, n'a pas toujours été. Jadis, les classes aisées confiaient leurs enfants dès la naissance à des nourrices, jusqu'à quatre, cinq ans puis à des gouvernantes. Dans son premier roman Nourrices, Séverine Cressan se penche sur ces femmes qui se substituaient aux premiers soins de la mère en donnant leur lait à des nourrissons contre rémunération. Sylvaine a la garde de Gladie mais, outre cette fille de la ville, elle nourrit « son petit Jehan » et « l'enfant de la nuit » trouvée dans la forêt. « Ça fait plus d'une semaine que tu la nourris, et pour rien ! [...] La Gladie, elle, elle nous rapporte de quoi vivre », s'emporte son bûcheron de mari. Et d'enfoncer le clou : « [...] La petite on peut pas la garder. Elle nous met en danger. » C'est qu'elle a bon cœur, Sylvaine, pas comme « la Michaude » qui en prend trois, quatre, cinq, et tant pis si les bébés y passent. Quand Gladie meurt dans son sommeil, Sylvaine va la remplacer par l'orpheline sans nom qui prendra l'identité de la défunte. Si Nourrices explore les arcanes de cette maternante profession, il ne s'agit pas pour autant d'une archéologie de la puériculture. Ici, le tableau est plus littéraire que sociologique. Les couleurs sont celles des émotions, le dessin figure les délinéaments de l'âme. Se pose, en filigrane, la question : qu'est-ce qui, au-delà de l'argent, anime une femme qui partage avec l'enfant d'une autre une relation si intime ? Cette nuit de pleine lune, c'était comme poussée par quelque force tellurique que Sylvaine s'était mise à allaiter l'orpheline.