Quand il était enfant, dans les années 1950, rue François-Miron, en plein Marais, "le seul endroit au monde où je me sente chez moi", confie-t-il, Jean Zéboulon était à la fois fasciné par les mots de la langue française, et par le dessin, la calligraphie. Une manière efficace de s'enraciner, lui, le onzième et dernier enfant d'une famille sépharade tunisienne - et le seul né en France, en 1951. En ces temps d'après-guerre, la consigne était de s'assimiler, de se fondre dans la communauté nationale. Ce qui n'empêche pas Zéboulon de s'interroger sur ses origines : "D'où venaient ces gens, d'Espagne ou de Livourne, avant de s'installer en Tunisie ?" Et d'être fier de son patronyme, rarissime : "C'est le prénom biblique d'un des douze fils de Jacob, et il signifie "très noble"." Quant à son presque homonyme, le petit magicien du Manège enchanté, un must du petit écran dans les années 1960, il a rendu Jean encore plus populaire auprès de ses copains.
Son bac en poche, survient Mai 68, et Zéboulon fréquente un peu la bohème. Il a des amis photographes, cinéastes. Il fait quelques petits boulots improbables. Puis exploite son talent le plus évident : le dessin. Il devient illustrateur et cartographe free-lance dans la presse scientifique, Science & Vie, La Recherche...
Quant à l'écriture, ce lecteur boulimique de Borges, Kafka ou Miller aimerait bien s'y lancer, mais n'ose pas, ne sachant pas "sur quoi écrire". Il met son art dans les lettres d'amour "sophistiquées et illustrées" qu'il envoie à ses flirts. "Et ça marchait ! » s'amuse-t-il.
Ça commence aussi à marcher pour sa carrière : de 1986 à 2000, il travaille à L'Express comme illustrateur, et n'est toujours pas revenu de cette chance, de ce qui lui apparaît aujourd'hui comme "un luxe inouï" : un magazine salariant trois illustrateurs à plein-temps pour réaliser ses unes, embellir ses pages... Un autre mode d'illustration le passionne, l'illustration sonore. Aussi Zéboulon, sous le pseudonyme de Jean Hyrcan, "illustrera", de 2001 à 2009, un magazine mensuel sur Arte, « Die Nacht/La nuit ».
Mais c'est en 2000 que la vie de Jean Zéboulon a basculé. Sa femme tombe gravement malade - elle décédera en 2008. Afin d'oublier un peu son chagrin, de distraire aussi leurs deux enfants, il commence à noter "des petits trucs, un peu à la manière de La Fontaine, des maximes, de petites histoires à propos des animaux, ou des plantes". Toujours courtes et illustrées. "Je me cachais un peu derrière l'illustration", reconnaît-il. Tout ceci finit par constituer un recueil, Bestiaire pour les jours de cafard, son premier livre, que Jacques Binsztok publie au Seuil.
Auteur-autoentrepreneur
Inclassable, le petit livre jaune au format carré plaît aussi bien aux adultes qu'aux jeunes, et se vend à environ 4 000 exemplaires. Il est aujourd'hui épuisé, et l'auteur, qui en a repris les droits, le rééditera peut-être un jour. En 2008, toujours afin de "préserver [son] équilibre mental", il récidive avec Animaux trouvés au coin d'une page, conçu sur le même principe, et qui paraît chez Etre. Panama, maison créée par Jacques Binsztok en 2004, "n'ayant pas souhaité continuer l'aventure, j'avais rencontré Christian Bruel, le responsable de la petite maison d'édition Etre située dans le 20e arrondissement, parce que c'est là que j'habite".
Mais Etre disparaît, et Zéboulon, qui a depuis récupéré le stock d'exemplaires, les vend en direct dans des librairies amies, en même temps que ses cartes postales faites maison. Comme celle-ci : "Certes, le rhinocéros est un gros ongulé : mais qui oserait le lui dire en face ?"
Après avoir, en 2010, exorcisé sa douleur avec Pensées pour moi-même et quelques autres, recueil paru chez Harpo &, à Marseille, Jean Zéboulon rencontre Alice Déon, la directrice de La Table ronde, et s'y installe. Paraît Anagram, en 2011, "plutôt destiné aux enfants", puis le 20 avril prochain Jardin pour les jours de pluie, un recueil consacré à 101 végétaux, avec des textes poétiques, tendres, parfois drôles, tantôt plus graves.
Comme Zébulon, Zéboulon, auteur-autoentrepreneur, ne tient pas en place et fourmille de projets : un recueil sur le vocabulaire des cris des animaux, qui le fascine depuis toujours, ou encore une histoire autour du Déluge. On n'échappe pas à ses racines, surtout bibliques.
Jardin pour les jours de pluie, Jean Zéboulon, La Table ronde, 220p., 20 euros, tirage : 5 000 ex., ISBN : 978-2-7103-6933-2, mise ne vente le 20 avril