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La bibliothèque est un objet politique. Le rapport de Sylvie Robert à Fleur Pellerin sur les horaires d'ouverture vient le rappeler à juste titre. Souvent les bibliothèques semblent exister du fait d'un héritage, trace d'un passé qui, sans être totalement révolu, apparaît comme en sommeil... C'est le mérite de ce rapport que de venir redonner une actualité politique aux bibliothèques.

Mais alors, qu'est-ce donc qu'une bibliothèque selon le rapport ? Dans une assez large part, il donne à voir une définition de cet équipement par les collections. C'est repérable à travers la préconisation n°6 d'établir une " cartographie documentaire territoriale " préalable " à tout projet d'adaptation des horaires d'ouverture ". On le perçoit aussi quand, dans la préconisation suivante, il est suggéré d'abonder les Contrats Territoire-lecture sur le programme 224 " transmission des savoirs et démocratisation de la culture ". On s'étonne d'ailleurs que ce ne soit pas déjà le cas...

Cet accent s'observe aussi dans les statistiques décrivant les bibliothèques. On dispose de données sur les collections et les prêts mais beaucoup moins sur l'espace et pas sur le nombre de visites.  La définition de la mission principale des bibliothécaires comme celle de médiation visant à " jouer l'interface entre les collections qu'ils constituent progressivement et le public ", maintient assez inchangé le rôle du professionnel alors que le monde a changé. Et même la citation d'Einstein mise en exergue (" La seule chose que vous ayez absolument besoin de savoir est l'emplacement d'une bibliothèque ") nous renvoie à un monde révolu dans lequel la bibliothèque était la condition de l'accès au savoir. Einstein est mort en 1955, bien avant l'arrivée d'Internet...

Dans cette vision de la bibliothèque, les propositions sont intéressantes. Même si ce n'est pas mis en valeur dans une préconisation, on voit ainsi poindre une sorte de souhait de rééquilibrage de la politique de lecture publique des centres-villes vers « les zones rurales, périurbaines et les quartiers relevant de la politique de la ville ». D'un point de vue technique, l'invitation faite aux professionnels de recourir aux notices de la BNF plutôt que de cataloguer eux-mêmes est judicieuse mais il faudrait ajouter la préconisation de demander à la BNF qu'elle oriente la production des notices en fonction des demandes des bibliothécaires car ils sont peu nombreux à être satisfaits des services rendus...

A juste titre aussi, la rapporteur encourage (là aussi hors préconisation) les bibliothèques à " systématiser l'existence des 'boîtes de retour' à l'extérieur du bâtiment ". Et c'est vrai que la progression de l'équipement des bibliothèques de cet outil indispensable est bien lente... De même, on ne peut qu'aller dans le sens du rapport pour appeler à une meilleure collaboration des architectes (y compris les écoles) avec les professionnels ou responsables de projets de bibliothèques.

Et puis, les 18 préconisations étant énoncées, figure à la fin du rapport une partie détonante sur la " bibliothèque du XXIe siècle ". Le lecteur a l'impression que le reste parlait du XXe siècle et qu'on est projeté d'un coup dans le monde d'aujourd'hui. L'auteure ainsi d'affirmer que la bibliothèque " est ce que l'usager a envie qu'elle soit, en fonction de son humeur et de son désir présents. Elle est un lieu de vie ". Elle a totalement raison et il faut en tenir compte. Et on la rejoint bien sûr quand elle écrit que " réfléchir à l'adaptation ou à l'élargissement des horaires d'ouverture des bibliothèques implique de questionner leurs missions ". Idem à propos de " la mission civique des bibliothèques " ou de la bibliothèque comme " merveilleuse expression du vivre-ensemble ". Et on a alors envie de reprendre le film dès le départ en insérant cette vision actuelle dans la réflexion.

Ce rapport est donc révélateur d'une mutation en cours de la bibliothèque, y compris de la part des responsables politiques. Mais, vu que nous sommes au XXIe siècle, on aimerait bien partir de ce contexte, y compris pour traiter la question des horaires d'ouverture. Par exemple, le rapport n'évoque pas l'ouverture du matin qui serait pourtant plébiscitée par les retraités et les inactifs et pas seulement en vue d'usages documentaires... Il faudrait repartir de la singularité de la situation historique qui est la nôtre et redéfinir sur cette base la bibliothèque dans son ensemble. Qui sont les citoyens d'aujourd'hui, leurs pratiques, leurs aspirations ? En quoi les bibliothèques sont-elles un outil indispensable aux défis posés par la nécessité de l'éducation, de la construction du lien social et la revendication d'autonomie des individus ?

Ces questions ne sont pas vaines parce qu'elles déterminent le bien fondé de l'existence même des bibliothèques. Cela éviterait à une ministre de les juger superflues et permettrait d'inscrire ces équipements publics dans une politique en phase avec les citoyens d'aujourd'hui. Par ailleurs, elles engagent des choix fortement structurants. Ainsi, la bibliothèque doit-elle relever de la seule tutelle de la culture étant donné qu'elle remplit une mission sociale et civique ? Qu'est-ce qu'un(e) bibliothécaire aujourd'hui en termes de compétences, de formation, de profil ?  Bref, tous ces sujets ne doivent pas rester entre les lignes et il faut écrire la saison 2 du rapport !
 
 
 

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