Verlaine l'enchanteur. La vie de Paul Verlaine (1844-1896) est un lent naufrage, qui s'achève dans l'alcoolisme, la misère la plus sordide, la maladie, les hôpitaux, mais aussi en apothéose littéraire. Après des années de publications à compte d'auteur, d'obscurité, il est en effet considéré, à partir des années 1890, comme le maître de toute une partie des poètes français (grosso modo, les symbolistes et les décadents, plus quelques jeunes gens comme André Gide ou Pierre Louÿs, qui le rencontrent et l'admirent), voire comme une vedette internationale : en 1892-1893, il est invité à prononcer des conférences (bien informelles) en Belgique, aux Pays-Bas, en Angleterre. En 1894, il est même élu Prince des poètes, sponsorisé par une quinzaine d'admirateurs aussi enthousiastes qu'aisés.
Si l'on consulte les anthologies poétiques de l'époque, Verlaine y occupe une place importante, derrière Baudelaire et Hugo, ces deux monuments du xixe siècle, mais devant Mallarmé ou Arthur Rimbaud (1854-1891), son mauvais ou bon génie, c'est selon. Débarqué à Paris avec fracas en septembre 1871, Rimbaud a bouleversé la vie de Verlaine, son amoureux fou, son « pauvre Lelian », le conduisant à rompre avec sa femme, avec sa vie petite-bourgeoise de professeur, pour ce « dérèglement de tous les sens » qu'il lui offrait. L'aventure s'achèvera, comme on sait, le 10 juillet 1873 dans un hôtel de Bruxelles par des coups de pistolet, et un an et demi de prison.
C'est là que Verlaine, plus ou moins converti, écrira Sagesse, bien en retrait de ses recueils de jeunesse, ses chefs-d'œuvre, Poèmes saturniens (1866) et Fêtes galantes (1869). Verlaine y invente une nouvelle prosodie, démembre le vers classique, l'assouplit, lui confère une musicalité inouïe, lui qui revendiquait « de la musique avant toute chose ».
Si ses œuvres complètes furent publiées de son vivant, puis de façon posthume, leur partie en prose fut largement méprisée par ses premiers exégètes. La « Bibliothèque de la Pléiade » elle-même reprit ce schéma artificiel, avec, en 1938, Œuvres poétiques complètes) puis, en 1972, Œuvres en prose complètes. Plus de 80 ans après la parution du premier tome, Verlaine méritait bien la présente édition monumentale, rigoureusement chronologique, en deux volumes, de ses Œuvres (vraiment) complètes, depuis ses tout premiers vers de 1858 jusqu'à ses Confessions inachevées de 1895, et comprenant même des projets de recueils publiés après sa mort. Ce qui s'impose désormais, c'est la virtuosité d'un esprit délié, la cohérence d'une œuvre, malgré la diversité de ses zigzags, de ses inspirations, qui se traduisent dans les six périodes qu'a distinguées le pléiadiseur méritant Olivier Bivort.
Verlaine ressort grandi de l'espèce de purgatoire où, à la suite des surréalistes chamboulés par Une saison en enfer et la sulfureuse aura rimbaldienne, la critique l'avait envoyé patienter. Il occupe désormais et à nouveau toute sa place dans notre panthéon littéraire, l'une des premières. Écoutons donc sa « chanson bien douce », même si souvent amère et nostalgique.
Œuvres complètes
Gallimard/La Pléiade
Tirage: NC
Prix: Coffret 2 vol. 138 € jusqu’au 01/04/2026 puis 148 € ; 3 344 P.
ISBN: 9782073032843
