Échos du front. Belle trame que celle bâtie par Armelle Hérisson pour cette première incursion assurée dans le monde du roman noir. Nous soulignerons brièvement les évidentes aptitudes de professeur de littérature française de l'autrice, déclinées ici en une langue riche et enluminée, pour repartir dare-dare vers le passé trouble de son personnage central. Il s'appelle Vilmos et la Hongrie vallonnée où il a grandi est aussi jolie et harmonieuse que lui. Mais les années 1940 vont les rendre moches, elle et lui, ravagés et destructeurs. De l'insouciance de l'adolescence à un enrôlement forcé dans la 31e division Waffen-SS, le jeune Magyar va devoir apprendre à tuer et à survivre, à tuer pour survivre.
Quatre décennies et des poussières plus tard, la camarde rôde toujours. Notamment du côté de Laval, où le corps d'une femme gît au pied des HLM de la cité de la Perdrière. Drôle de nom de lagopède, prédestiné sans doute à un envol raté et à cette vie fauchée par la première salve de plomb venue. 1987 donc : le commissaire Ralu et ses adjoints enquêtent, entre routine de voisinage et indices plus mystérieux, entre la disparition d'un cheval de course et les recherches de la défunte dans des dossiers liés aux flux migratoires venus de l'Est. À la suite des investigations policières, on apprend qu'elle se nomme Sophie Siegler, journaliste spécialisée dans le fait divers sordidement alléchant. Et dans le même temps, les spectateurs que nous sommes entendent en contrepoint des propos obscurs, comme le seraient ceux disséminés par une voix off, à la fois dangereuse et apeurée. La folie est aux aguets, derrière chaque rideau. Les commères veillent mais ne sont pas forcément celles à l'acuité la plus développée. Seules des affinités de longue date avec la mort peuvent faire de vous un chasseur probant, un traqueur froid et déterminé.
Juxtaposée en un écheveau de chapitres plus ou moins longs et étoffés, l'intercalation des époques fonctionne parfaitement, jusqu'à leur attendu télescopage. Ainsi, au bout de son interminable périple de survivant à travers une Europe en ruine, Vilmos réapparaît bien sûr, en Mayenne, mais peut-être pas dans le prévisible rôle du fêlé escompté. Sûr qu'il a beaucoup pleuré en ralliant enfin la France et le musée du Louvre, pensant à son ami Imre face au Radeau de la Méduse de Géricault, persuadé qu'il devait poursuivre encore et encore sa quête, entre espoir de vengeance et simple souci de rédemption, entre fuite et oubli aussi. Le flou perdure un moment entre crimes de guerre et guère de crimes plus odieux que ceux perpétrés par ces intemporels petits chefs aux ordres d'un pouvoir dont ils assument depuis des siècles les basses et abominables besognes. Mais au hasard des pistes annexes et apories qui s'enchevêtrent, pour se terminer en impasse la plupart du temps, Vilmos retrouvera « son » petit chef lorsque le puzzle s'achèvera. Ce puzzle, entêtant, jusqu'à devenir l'un des mots-clés du livre. N'en disons pas trop et saluons, après Macha Séry (Patriotic School) et Ingrid Astier (Ultima), l'intérêt croissant de la « Série Noire » pour les romancières à haut potentiel littéraire. Nous y prenons goût et y adhérons sans réserve.
La mort malgré lui
Gallimard
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 20 € ; 400 p.
ISBN: 9782073105004
