La fin de l'innocence. Sa jeunesse, Gigio Bellandi aime la résumer en ces vers de W.H. Auden : « On ne se souvient pas toujours très bien pourquoi l'on a été heureux, mais on n'oublie jamais qu'on l'a été. » Dans la vie de Gigio, il y a un avant et un après l'été 1972, l'été d'une bascule bien plus brutale encore que le retour à la discipline scolaire au lendemain de vacances éperdues de liberté. Un « septembre noir » en quelque sorte, après un mois d'août lumineux.
En 1972, Gigio a 12 ans. Comme chaque été, ses parents, sa sœur et lui migrent vers Fiumetto, station balnéaire toscane où Gigio retrouvent ses copains pour des parties de foot, de cache-cache et de ping-pong, pour manger des fougasses ou écouter les disques du juke-box de la plage. Son père, avocat pénaliste, l'embarque à bord du Tivatù, son voilier et troisième enfant, celui auquel il accorde peut-être le plus d'attention. Sa mère, d'origine irlandaise, s'occupe de sa progéniture et fait tourner la tête des hommes. Avec son oncle, Gigio se passionne pour les JO de Munich. « Comme ma vie n'avait jusque-là comporté pour ainsi dire aucune dimension personnelle, l'important pour moi pendant ces étés, c'étaient mes parents, ma sœur, mes jeux, l'odeur du soleil - et tout cela, je le percevais comme une extension de moi, où les autres ne jouaient aucun rôle. » C'est pourtant des autres qu'arrive le grand bouleversement. D'Astel Raimondi d'abord, la fille d'un riche notable, dont l'amitié, l'esprit vif et la beauté ouvrent une première brèche dans le cœur de Gigio. La seconde fera irruption à travers le poste de télévision. À Munich, onze athlètes israéliens sont assassinés par des membres de l'organisation terroriste palestinienne Septembre noir. Un drame vécu en direct, auquel un autre fait écho, qui endeuille Fiumetto. « Je ne me souviens pas du reste de cette journée atroce. Je le jure. Elle fut atroce. Le sang sur les Jeux olympiques. L'après-midi sans Astel. Le monde vide. Le soleil éteint. Elle ne servit qu'à atteindre le soir. »
Évocation sensuelle et nostalgique d'un été perçu à travers le regard d'un jeune garçon, le récit se double d'une dimension politique et collective qui entraîne le passage, non plus seulement d'un adolescent, mais d'une société tout entière, à l'âge adulte. Plombée par la violence, la joie est irrémédiablement condamnée. Oscillant entre moments suspendus et course contre la montre, Septembre noir parle aussi de manière envoûtante de la découverte du pouvoir des mots, de la musique, du désir et de l'amour, et de l'interruption subite et douloureuse de cet apprentissage rituel. Une rupture que le style de Sandro Veronesi (Prix Femina étranger 2008 pour Chaos calme, Grasset), évoluant de la contemplation à la sidération, accompagne magistralement. Si la conclusion du récit est abrupte et génère quelque frustration, elle n'en reflète que mieux la tristesse de la perte de l'innocence. Sans égaler la maestria du Colibri (Grasset, 2021), lauréat du prix Strega en 2020 et considéré par la presse transalpine comme le meilleur roman italien de ces dernières années, Septembre noir réserve a minima une parenthèse de lecture hors du temps.
Septembre noir
Grasset
Traduit de l'italien par Dominique Vittoz
Tirage: 18 000 ex.
Prix: 22 € ; 320 p.
ISBN: 9782246842361
