En langue annamite Nan Phuong signifie « Parfum du Sud ». Quand on regarde ses photos on est saisi par ce bouquet d'orgueil et de tristesse mêlés et ce regard pétrifié dans le passé. C'est la vie romanesque de cette femme que nous rappelle François Joyaux dans cette première biographie française. Un destin pathétique qui correspond avec celui de son pays que l'on nommait alors la Cochinchine, aujourd'hui le Vietnam. Elle en fut la dernière impératrice. Élevée à Paris au Couvent des Oiseaux, cette catholique fervente épousa le bouddhiste et volage empereur Bao Daï avec qui, elle eut cinq enfants.

À travers cette vie princière, de réceptions, de bijoux et de palais on voit en filigrane se déliter l'Indochine coloniale dont Malraux avait saisi les fondements inégalitaires. Administré par Vichy pendant la Seconde Guerre mondiale le pays est sous la coupe des Japonais. À la Libération, la révolution communiste s'installe et l'impératrice compose par prudence avec Ho Chi Minh et le Vietminh. Lucien Bodard, grand reporter à France-Soir, la rencontre à la fin de l'année 1945. « Quasi prisonnière avec ses cinq enfants dans son petit palais d'An Dinh, à la lisière du quartier européen, elle avait été surveillée sans répit, plus ou moins menacée, sous-alimentée. Je m'attendais à une personne marquée par l'épreuve. Au contraire, l'impératrice m'apparut comme une femme égale à sa réputation de beauté et de grâce. »

Elle sait pourtant son séjour compté et l'administration française lui offre un aller sans retour. À partir de 1948, elle mène une vie mondaine en exil à Cannes avant de finir ses jours en Corrèze, à 49 ans, dans les bras d'un kiné qui professait des idées communistes ! La vente aux enchères d'une partie de ses bijoux en 2004 montre qu'elle n'avait pas tout donné au Vietminh en 1945 lors de la « Semaine de l'or ».

François Joyaux, qui a enseigné pendant trente ans l'histoire contemporaine de l'Extrême-Orient à l'Institut des langues orientales, à Sciences Po et à la Sorbonne, s'empare de l'existence de cette femme et au travers du basculement de l'Indochine française. Il a eu accès à des archives, mais il a aussi rencontré des témoins pour comprendre la vie épique de Jeanne-Marie Nguyen Huu thi Lan devenue l'impératrice Nam Phuong (1913-1963). Celle dont le nom évoquait un parfum n'a laissé dans l'histoire qu'une effluence discrète. Tout le mérite de François Joyaux est d'en avoir retrouvé l'âme.