Avant-critique Beau livre

Olivier Roller, "Bataclan, mémoires. Photographies, récits, tatouages" (La Manufacture de livres) : Marqués à vie

Trityque - Photo © Olivier Roller

Olivier Roller, "Bataclan, mémoires. Photographies, récits, tatouages" (La Manufacture de livres) : Marqués à vie

Dans un ouvrage puissant, le photographe Olivier Roller nous offre les visages, les tatouages et les témoignages de rescapés de l'attentat du Bataclan.

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Par Kerenn Elkaim
Créé le 23.11.2022 à 14h00

On pense souvent l'existence comme une trace linéaire alors qu'elle peut être déviée en un instant, comme lors des attentats du vendredi 13 novembre 2015. Cent trente personnes ont péri, dont quatre-vingt-dix au Bataclan, la mythique salle parisienne. Le procès s'ouvre six ans plus tard. Certaines victimes n'en attendent rien, d'autres ont "besoin de comprendre", mais cela rouvre forcément des plaies qui ne cicatrisent pas vraiment.

"Je me suis toujours passionné pour ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas", affirme Olivier Roller. Ce "photographe-portraitiste-spécialiste-des-visages" a immortalisé nombre d'écrivains ou de personnalités, mais là, il a voulu scruter les ravages intérieurs de ces visages, durablement marqués ou prématurément vieillis par ce drame. "Le Bataclan, c'est une ombre, un serrement de cœur, le souvenir d'une soirée glaçante, la frayeur du pire." Pour la saisir, Roller a passé un an auprès des survivants membres de l'association Life for Paris. Il leur offre son regard sensible et leur donne longuement la parole. Les fans entonnaient la chanson Kiss the Devil ("Embrasse le diable") lorsque les terroristes ont frappé sans pitié. C'est là que la fatalité ou "une force surhumaine d'instinct de survie" a joué, soutient Camille (25 ans lors des faits). Alix (29 ans) avoue : "Je n'ai pas été une grande héroïne ce soir-là", car elle a enjambé des corps et prié pour que les balles atteignent autrui.

La culpabilité en ronge plus d'un. L'alcool, la drogue ou la dépression se sont parfois imposés, mais l'envie de vivre est plus forte que tout. Face à l'oubli impossible, ces êtres traumatisés ont choisi de marquer cette nuit d'enfer au fer rouge. "Tout le monde a envie de laisser le Bataclan dans sa chair", explique Jean-Claude (60 ans), offrant son dos nu mais pas son regard, masquant derrière des lunettes noires ses yeux qui ont vu trop d'horreur. Son tatouage lui sert presque de vêtement protecteur. Natasha (38 ans) est devenue tatoueuse après s'être vue mourir. Être dénuée de cicatrice physique ne l'empêche pas d'être blessée à vie. "Quand tu tatoues, tu aides, car cela a une grande vertu thérapeutique." Coralie (27 ans) confirme : "J'ai voulu me réapproprier mon corps", histoire de trancher avec l'immense cicatrice en forme de grenade. D'après Christophe (39 ans), "le tatouage est une forme de blessure choisie". Marilyn (25 ans) renchérit : "Le tatouage, c'est ma vie, c'est mon histoire qui est ainsi écrite, comme si c'était un livre." Son scarabée ailé est le symbole égyptien de la protection des vivants. Florence (56 ans) n'était pas au Bataclan, mais elle y a perdu sa fille, alors son cou arbore des ailes d'ange et de papillon, en sa mémoire. Helen (49 ans) pleure "l'amour de ma vie", mort dans ses bras. "Ouais, c'est une histoire tragiquement belle." À l'image de cet ouvrage exceptionnel, aux portraits poignants et aux témoignages profonds. Tel celui de Clotilde (35 ans), dont le gramophone incarne "cette idée de résilience et de renaissance" qui traverse ce livre intense.

Olivier Roller
Bataclan, mémoires. Photographies, récits, tatouages
La Manufacture de livres
Tirage: 1 700 ex.
Prix: 55 € ; 488 p.
ISBN: 9782358879057

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