Gertrude d'Arabie. Wikipédia ne saurait mentir. Dans la page que l'encyclopédie numérique consacre à Gertrude Bell (1868-1926), celle-ci est présentée comme « une archéologue, exploratrice, écrivaine, femme politique, espionne et diplomate britannique ». Si l'on ajoute à cette liste ses qualités d'alpiniste, on conviendra que Miss Bell, en un temps où il n'était généralement concédé aux femmes d'autres places qu'au foyer, fut une figure majeure d'émancipation féminine − plus ou moins contre son gré d'ailleurs car elle détestait le mouvement des suffragettes qui lui était contemporain. Un premier voyage au cœur de l'Empire britannique, au Moyen-Orient, à 24 ans, va être une révélation pour cette jeune femme issue de la haute bourgeoisie industrielle, et va changer le sens de sa vie. Un chagrin amoureux ayant achevé de la convaincre de ne jamais mener l'existence à laquelle sa classe la destinait, elle fait en quelque sorte souche dans cette région, la Mésopotamie, vers Bagdad ou Bassora, que se disputent déjà les grandes nations occidentales. Nul ne connaîtra mieux qu'elle ces déserts, ces oasis, ces villes, cette mosaïque de peuples ; nul ne saura mieux qu'elle les confondre vers une seule volonté, la gloire de sa Majesté et de son empire. Personne, pas même son ami, son « frère », T.E. Lawrence, pas encore d'Arabie.
Depuis La disparition de Josef Mengele (Grasset, 2017, prix Renaudot) ou ses essais, on sait que la géopolitique et l'Histoire, c'est la grande affaire d'Olivier Guez. Avec Gertrude Bell, il a évidemment trouvé un sujet à sa mesure, c'est-à-dire un sujet qui est beaucoup plus qu'un sujet. Mesopotamia − qui devrait être l'un des événements de cette rentrée littéraire − est une exofiction qui prend tout son temps, qui plonge dans le fleuve de la vie mouvementée de son héroïne. Rien ne manque, ni Churchill avant Churchill, ni le fascinant St. John Philby (père de Kim), rien de ce qui fit du Moyen-Orient, jusqu'à aujourd'hui, quelque chose comme le chagrin et la défaite de l'Occident. Fascinant qu'une vieille fille anglaise en ait été la grande ordonnatrice. Et passionnant qu'Olivier Guez démêle ainsi les fils de cette histoire et en éclaire les zones d'ombre. Nul sans doute mieux que lui n'aurait su le faire.
Mesopotamia
Grasset
Tirage: 40 000 ex.
Prix: 24 € ; 416 p.
ISBN: 9782246818953