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Nouveauté en librairie et interdiction en référé

Nouveauté en librairie et interdiction en référé

Le juge des référés est un magistrat de l’urgence et de l’évidence. Pour statuer, il lui est nécessaire de disposer de certitudes et non de simples « indices ». Mais il peut prononcer des décisions aux graves conséquences pour les nouveautés en librairie.

Le 9 août dernier, un des romans de la rentrée littéraire – Fatum de Pascal Herlem (Bouquins) - était interdit par le juge des référés du Tribunal  judiciaire de Paris. Le romancier étai poursuivi par la famille de son frère laquelle invoquait le droit au respect de la vie privée amenant la magistrate à statuer que « La qualification de roman ou roman psychanalytique choisie par l’auteur et/ou l’éditeur ne saurait lier le juge des référés par la conception que l’auteur a pu exprimer du rapport entre réalité et imaginaire dans son œuvre, et en l’occurrence il est vraisemblable qu’il existe des liens étroits entre les personnages de l’ouvrage Fatum avec la réalité de la vie des demandeurs, tant en raison de la volonté de livrer un récit familial, revendiquée sur la quatrième de couverture (…) que par l’inscription de l’ouvrage litigieux dans le sillage des livres précédents mettant en lumière la sœur aînée (de l’auteur), laquelle apparaît également dans Fatum. »

Accusés absents

La décision de justice indique tant l’éditeur que l’auteur comme « non comparants », en clair qu’ils ne sont pas venus se défendre, sans doute parce qu’ils n’ont pas eu connaissance du procès qui leur était intenté. Une telle situation ouvrait donc un boulevard aux demandes de la famille portées devant une juge de permanence au cœur des vacances estivales...

Celle-ci estimait par conséquent que « le dommage imminent qu’entraînerait la diffusion et la commercialisation de l’ouvrage Fatum est donc caractérisé au regard des dispositions de l’article 835 du Code de procédure civile. S’agissant de la divulgation des détails les plus intimes de la vie des demandeurs, un tel dommage serait irréparable et justifie qu’il soit fait droit a? la demande d’interdiction sous astreinte qu’ils ont formée ». 

Gageons que le destin de ce roman à la sortie différée sera différent une fois les recours plaidés, cette fois en présence de toutes les parties.

Le pouvoir du juge des référés

Cette affaire hors normes me donne l’occasion de rappeler que le juge des référés possède de très importants pouvoirs, notamment dans le domaine des ouvrages de librairie. 

Aux termes du Nouveau Code de procédure civile, il a la faculté d’ordonner « toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend ». De plus, il peut, « même en présence d’une contestation sérieuse », prescrire les « mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ». 

En l’absence d’une liste de sanctions plus détaillée, la palette des mesures est donc très large. En pratique, elles vont de l’insertion de rectificatifs jusqu’à l’interdiction pure et simple de l’ouvrage, en passant par l’arrachage de pages. Il est fréquent qu’une publication judiciaire soit ordonnée en référé. Une condamnation à ce qu’un panonceau soit disposé sur tous les lieux de vente a même déjà été prononcée dans le cadre d’une telle procédure. Quant au versement de dommages-intérêts par provision - c’est-à-dire par anticipation sur la condamnation que prononceront ultérieurement les juges du fond - il s’agit là d’une mesure très répandue. 

Urgence et évidence

Cette procédure reste inapplicable en matière de diffamation car des actions sur ce fondement appellent des délais procéduraux assez longs (en particulier, dix jours en défense pour rapporter la preuve de la réalité faits supposés diffamatoires), ce qui explique pourquoi le conseil de Christelle a tenté sa chance avec l’article 39 et non la diffamation et qu’il n’annonce que des poursuites au fond sur le terrain de la diffamation.

Le juge des référés est aussi un magistrat de l’urgence et de l’évidence. Pour statuer, il lui est nécessaire de disposer de certitudes et non de simples « indices ».

C’est pourquoi il faut aussi souligner que la justice n’examine sérieusement la demande d’interdiction de tout ou partie d’un livre à paraître que s’il peut en vérifier le contenu définitif. Il peut se fonder sur un exemplaire du livre déjà fabriqué mais non encore mis en vente, un jeu d’épreuves, voire un manuscrit « authentifié », c’est-à-dire non contestable. L’envoi prématuré du service de presse relève, dans le cas d’un ouvrage sensible, d’une prise de risque pour l’éditeur : cela revient à semer des preuves à tous les vents de Saint-Germain-des-Prés. Le 14 février 1997, la Cour d’appel de Paris a condamné un éditeur de journaux pour avoir exploité des informations, en violation d’un accord de confidentialité conclu avec un éditeur. Celui-ci avait initialement communiqué le manuscrit en vue d’une éventuelle publication des « bonnes feuilles ».

La chambre des secrets
         
Bref, l’éditeur d’un livre au contenu sensible (d’un essai sur une affaire politico-financière à une autofiction), doit savoir doser entre la nécessaire préparation de la promotion, bien en amont de la sortie du livre, et le risque concomitant de ne le voir jamais sortir… 

Si le secret est bien gardé ou si la cible ne possède pas les bons réseaux, il peut lui être tentant de se tourner sans plus attendre, désemparée, vers la justice. Ceux qui craignent de voir leurs secrets livrés en librairie, leur vie privée racontée ou leurs agissements montrés du doigt, sollicitent en effet parfois le juge des référés pour obtenir la communication des manuscrits sulfureux sur le point d’être publiés. La justice rechigne cependant à instaurer un système de censure préalable. 

Lors de la rentrée littéraire de l’an 2000, Jean-Louis Turquin avait ainsi saisi le juge des référés d’une demande dirigée contre le livre de Marc Weitzmann, intitulé Mariage mixte et qui s’inspirait du cas de ce notable niçois condamné pour l’assassinat de son fils. L’éditeur avait été assigné en vue d’être forcé à communiquer le manuscrit du livre sur le point de paraître. Jean-Louis Turquin ne disposait en effet que des bonnes feuilles publiées par la presse. Il exigeait également que la sortie du livre soit retardée pour lui laisser prendre connaissance du manuscrit…

La solitude du juge

Le 13 septembre 2000, la Cour d’appel de Paris a confirmé l’ordonnance rendue le 16 août 2000 et estimé que cette requête ne pouvait être favorablement accueillie, quand bien même Jean-Louis Turquin arguait-il d’un recours en révision ainsi que d’une procédure devant la Cour européenne des droits de l’homme pour justifier de celle-ci.    

En 1997, Alain Delon avait réussi à obtenir, un 5 août, l’interdiction en référé de la sortie, chez Grasset, de sa biographie signée par Bernard Violet. Alain Delon ne disposait alors que d’un document de travail, une sorte de long synopsis, communiqué par une éditrice, à qui la demande avait été formulée par l’avocat de l’acteur. Le Tribunal de grande instance de Paris est revenu, le 18 novembre 1998, a fini par contredire le juge des référés. les magistrats du fond ont estimé qu’Alain Delon ne « disposait pas d’un pouvoir de contrôle préalable des publications ».

C’est à ce retour à un système de censure a priori que la justice tente d’échapper, en repoussant généralement les demandes de communication des manuscrits. Restent que les interdictions pures et simples de livres sont, en France, rarissimes, mais que les juges des référés, qui siègent seuls et en urgence, peuvent encore aisément prononcer des décisions aux graves conséquences pour les nouveautés en librairie.
 
 
 

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