A Stockholm où il doit recevoir le prix Nobel, Peter Handke a été rattrapé par la polémique sur ses positions pro-Serbes pendant les guerres dans l'ex-Yougoslavie. Lors de la traditionnelle conférence de presse des lauréats du prix de littérature, vendredi 6 novembre, l'écrivain autrichien s'est emporté devant les journalistes.
"J'aime la littérature, pas les opinions", a-t-il dit à une journaliste qui lui demandait s'il avait changé d'opinion sur ce qui s'était passé dans les Balkans dans les années 1990. "J'abhorre les opinions", a-t-il insisté. En anglais et dans une élocution heurtée, il a assuré avoir vainement tenté à plusieurs reprises de nouer un dialogue avec ses détracteurs et assuré vouloir faire un geste de "réconciliation".
"J'ai demandé à un ami en Bosnie-Herzégovine comment y parvenir, mais il m'a dit que pour le moment ce n'était pas possible. Je voulais rencontrer (...) deux mères seules ayant perdu leurs enfants à la guerre, une côté serbe, l'autre côté musulman, mais ce n'est pas possible", a-t-il déclaré.
Ironie et perfidie
Un journaliste du site d'investigation The Intercept lui a ensuite demandé pourquoi dans ses livres il ne prenait pas acte des travaux du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) qui a reconnu le génocide de Srebrenica pour lequel Ratko Mladic, chef militaire des Serbes de Bosnie, et Radovan Karadzic, son équivalent politique, ont été condamnés.
"Poursuivez vos questions, j'aime vos questions", a ironisé Peter Handke, avant de lire une lettre hostile qui lui a été récemment envoyée avec du papier hygiénique. "Je préfère une lettre anonyme avec du papier toilette à vos questions vides et ignorantes", a-t-il lancé, précisant qu'il avait également reçu de nombreux courriers de soutien.
La conférence de presse avait pourtant bien commencé, un choeur joyeux dans l'assistance ayant entonné un "Happy birthday" en l'honneur de l'écrivain nobélisé qui fêtait ses 77 ans ce vendredi.
En 1996, un an après la fin des conflits en Bosnie et en Croatie, Peter Handke avait publié un pamphlet, Justice pour la Serbie, qui avait suscité la polémique. L'auteur, qui réside près de Paris, avait condamné en 1999 les bombardements occidentaux sur la Serbie, menés pour forcer Slobodan Milosevic, homme fort de Belgrade durant toute cette période, à retirer ses troupes du Kosovo. Et il s'était rendu en 2006 aux funérailles du dirigeant, décédé avant d'entendre son verdict pour crimes de guerre devant la justice internationale.
L'Académie dans l'embarras
Depuis l'annonce du prix début octobre, l'Académie suédoise qui décerne le Nobel est également au coeur de la tempête. Vendredi, quelques heures avant la conférence de presse de Peter Handke, un éminent académicien, Peter Englund, a fait savoir qu'il n'assisterait pas à la cérémonie de remise du prix.
"Je ne participerai pas à la semaine Nobel cette année. Célébrer le prix Nobel de Peter Handke serait pure hypocrisie de ma part", a écrit Peter Englund, historien et écrivain, au quotidien Dagens Nyheter. Secrétaire perpétuel de l'Académie suédoise entre 2009 et 2015, Peter Englund a couvert les conflits des années 1990 dans les Balkans pour des journaux suédois.
Deux membres (non académiciens) du comité Nobel ont par ailleurs annoncé lundi 2 décembre leur démission. Kristoffer Leandoer a indiqué qu'il n'avait pas "la patience" de suivre les réformes internes lancées par l'académie après le scandale d'agressions sexuelles qui l'a faite imploser en 2017. Gun-Britt Sundström a pour sa part invoqué, entre autres motifs, l'attribution du Nobel à Peter Handke.
"Le choix du lauréat 2019 ne s'est pas limité à récompenser une œuvre littéraire mais a également été interprété, tant au sein qu'en dehors de l'Académie, comme une prise de position qui place la littérature au-dessus de la politique", a-t-elle écrit au journal Dagens Nyheter. "Cette idéologie n'est pas la mienne", a-t-elle ajouté.