Il y a quelques mois on saluait dans ces colonnes Ma mère et moi, le beau texte, bref et nu, que Brahim Metiba consacrait à une relation filiale avare de démonstrations, presque aphone. "Je ne discute jamais avec mon père, nous n’avons pas grand-chose à nous dire, nous bavardons encore moins." La première phrase de ce nouveau récit assène calmement un constat similaire. Et, peut-être parce que la distance paraît ici plus grande, le lien plus taiseux et aride encore entre ce père, algérien, et ce fils, dernier-né d’une fratrie de sept enfants, parti du foyer depuis des années pour faire sa vie en France, la langue de l’écrivain est plus près de l’os que jamais.
Le narrateur essore tous les sens d’un simple mot laissé sur une table après une visite de son père, disséquant cette phrase : "Je n’ai pas eu le temps de bavarder avec toi, je te laisse ce ticket de métro. Ton père." Il s’accroche à chaque terme plein de sous-texte avant de convertir l’anodin sésame pour un trajet en transport en commun en cadeau d’anniversaire pour ses 37 ans. Il s’offre une balade en bus qui va le mener de Clichy-la-Garenne, où il habite, à Saint-Michel, de la banlieue au centre de Paris, le temps d’une matinée où il évoque comme dans une conversation imaginaire les chauffeurs et les passagers, les titres des journaux aperçus dans les kiosques, son père en jeune footballeur, l’Algérie ; où il voit défiler des scènes fondatrices de sa vie dont le récit reste suspendu. Il écrit "pour réduire le fossé", pour construire ces gués fragiles qui relient des rives opposées. V. R.