Roman

Tout est parti d'une énigme historico-artistique, comme Metin Arditi les aime. Qui est véritablement l'auteur du Christ guerrier, sublime icône qui se trouve dans l'église orthodoxe de Théotokos, au monastère de Mar Saba, non loin de Bethléem, dans l'actuelle Cisjordanie ? On l'attribuait jusqu'ici, en raison de sa liberté de représentation, peu conventionnelle, au maître Théophane le Grec, qui œuvra au XIVe siècle. Mais, à la faveur d'une restauration, l'analyse des pigments (notamment un « bleu divin » éclatant) et la dendrochronologie ont démontré que le tableau ne pouvait dater de cette époque. Plutôt du XIe siècle. Alors, par qui a-t-il été peint ?

À sa façon habituelle, érudite et romanesque, Metin Arditi se lance, et nous avec, sur la piste d'un certain Avner, appelé également Petit Anastase. À l'origine, c'est un jeune Juif né en 1065 près d'Acre, en Galilée, dans une famille de pêcheurs. Son exceptionnelle beauté ne laisse insensible ni les femmes ni les hommes - en particulier l'higoumène Petros, supérieur du monastère de Mar Saba, lequel tentera de protéger le jeune artiste de la jalousie, de la vindicte et de l'accusation de blasphème portée par ses frères et collègues iconographes, en vain. Dès l'adolescence, il se passionne pour les icônes, celles que peint, ou plutôt « écrit » le frère Anastase. L'iconographe décèle chez le garçon un don exceptionnel, et il accepte de lui enseigner son art. Ce qui suppose qu'Avner se convertisse à l'orthodoxie. Chassé de chez lui et renié par son père scandalisé (y compris à cause de sa tendre relation avec sa cousine Myriam), il accepte, fait semblant, mais personne n'est dupe : Petit Anastase n'a pas la foi. Toutes les religions du Livre l'intéressent : la sienne d'origine, le judaïsme, mais aussi le christianisme des bons moines, ou encore l'islam de Mansour, le marchand musulman itinérant, qui va devenir comme son père. Il prie avec tout le monde.Mais ce qu'il aime dans la religion, c'est l'homme, que Dieu a conçu à son image, et qu'il s'est fait vocation de peindre, comme le Christ, la Vierge Marie ou les saints. D'où la formidable liberté de ses icônes, et aussi le procès en hérésie qui va lui être intenté par des fanatiques des trois paroisses, lorsqu'il sera devenu riche et célèbre et que des pèlerins viendront le voir de partout afin de lui commander leur portrait - même le brutal Emmanuel de Saint-Hélie, comte de Cluny, un croisé, s'en retournera chez lui en épargnant Jérusalem.

Car Avner, « le pêcheur d'hommes », réussit, par sa peinture, un miracle : révéler à l'homme ce qu'il y a de meilleur en lui, le réconcilier avec lui-même et les autres. Ça lui apportera la joie, mais lui coûtera la vie, en 1104.

On n'en dira pas plus, afin de préserver une part du mystère de ce beau roman foisonnant, riche, où l'on voyage beaucoup, et qui peut également se lire comme une ode à la tolérance, à la fraternité, à la paix, particulièrement bienvenue de nos jours.

Metin Arditi
L'homme qui peignait les âmes
Grasset
Tirage: 16 000 ex.
Prix: 20 € ; 304 pages
ISBN: 9782246823957

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