Je n’ai aucun problème avec la lecture. J’ai un problème avec les livres », déclare Agnès Desarthe dans le premier chapitre de Comment j’ai appris à lire. De la part d’une romancière et traductrice reconnnue, prix du Livre Inter 1996 pour Un secret sans importance, voilà de quoi surprendre. Mais les lecteurs ne s’en sont pas laissé conter et ont plébiscité ce petit livre autobiographique, publié le 2 mai chez Stock dans la collection d’essais sur la littérature, sous couverture grise, dirigée par Capucine Ruat. A la 39e place des essais, il a été imprimé au total à 9 000 exemplaires, après un premier tirage de 6 500.
Comment avouer qu’on n’aime pas les livres, en hypokhâgne ou dans un dîner mondain ? Surtout quand on en a fait son métier : tout le livre repose sur ce paradoxe. Agnès Desarthe se livre avec franchise et raconte un parcours scolaire sans fautes et… sans lire les ouvrages prescrits. La romancière déroule le fil de ses souvenirs, cherchant dans les traumatismes d’enfance (un père libyen exilé, une mère russe dont la famille a disparu dans les camps de concentration, une intégration à l’école de garçons) l’explication de son rejet. Ménageant le suspense, elle conte une histoire qui finit bien et rassure ainsi tous les parents inquiets pour l’avenir de leur progéniture.
L’auteure d’Une partie de chasse dit avant tout son amour pour la langue, pour les jeux de mots, pour la poésie (elle connaît par cœur Jacques Prévert, déplorant qu’il soit « considéré comme un poète pour enfants, légèrement démagogue, un ringard »). Elle avoue quelques chocs littéraires comme Marguerite Duras, et des rencontres déterminantes avec sa prof de français en khâgne, Mme Barbéris, qui a su éclairer les textes à la lumière du structuralisme, ou encore Geneviève Brisac, éditrice à L’Ecole des loisirs, qui lui a ouvert la voie de la traduction. Mais Comment j’ai appris à lire est surtout un hymne à l’imagination, qu’elle met désormais à profit dans son travail de romancière comme dans celui de traductrice, puisant dans ses souvenirs pour restituer « la nuit arabe de l’enfance de mon père, comme celle d’Oum Kalsoum, chaude et étoilée, parfumée de jasmin et surtout, pour mon père, gorgée de la langoureuse et toxique liqueur de l’exil ». <