Avant-critique Récit

Retour aux fantômes familiers. « J'ai eu tort, je suis revenue dans cette ville au loin perdue où j'avais passé mon enfance », chantait Barbara. Mazarine Pingeot, elle aussi, est revenue sur ses traces. Précisément. C'est-à-dire dans cet appartement aussi secret que l'était alors son existence, niché au cœur de Paris, où elle vécut comme un petit fantôme adoré de ses parents et ignoré de presque tous, entre 10 et 16 ans. Alors qu'on ne savait pas encore qu'elle était la fille de François Mitterrand, président de la République. A-t-elle eu tort, comme la « longue dame brune » ? C'est tout l'objet de ce 11 quai Branly (adresse postale dudit appartement) que de répondre à cette question, de se donner joliment le temps de le faire, dans un ressassement craintif et se refusant à lâcher les chiens d'une émotion qui en ces circonstances, ne pourrait être que vulgaire.

Avec ce livre, Mazarine Pingeot répond à la demande de Stéphanie Kalfon et Amélie Cordonnier qui inaugurent ainsi leur collection « Retour chez soi ». L'occasion en l'occurrence, a fait le larron tant, sans conteste, ce 11 quai Branly appartient à la meilleure part de l'œuvre de l'autrice, celle où elle est évidemment au plus près de sa vérité (dès lors que celle-ci lui échappe tout de même sans cesse...). D'ailleurs, la vérité, elle la diffère d'abord, ne s'autorisant un retour effectif vers cet appartement proche de l'Alma qu'à la deuxième moitié de son livre, comme si elle craignait que papier peint élimé et meubles oubliés ne lui fassent former des fantômes. Et pourtant, écrit-elle, « aujourd'hui, c'est différent. M'y rendre pour vingt-quatre heures n'engage à rien. Peut-être y éprouverai-je un vertige. Peut-être pas. Ce ne sera qu'une parenthèse, un moment hors du temps, une étrange expérience, tenue, circonscrite, maîtrisée. Une expérience dont la finalité est d'être emprisonnée par ce à quoi elle s'est toujours soustraite : un récit. » Étrange expérience en effet, dont « l'effroi » est en quelque sorte redoublé par le souvenir d'une arrière-grand-mère qui fut aussi de ces lieux l'occupante furtive et de l'offre qui est faite à l'actuel compagnon de l'autrice, haut responsable du renseignement, d'en être à son tour l'occupant... C'est l'éternel retour du secret et de la dissimulation. Et le lecteur de demander à l'autrice : « Qu'as-tu vu Mazarine, au quai Branly ? » Et l'enfant devenue en ces lieux écrivain de répondre « Rien. Tout. La désolation magnifique des ruines. »

Mazarine M. Pingeot
11 quai Branly
Flammarion
Tirage: 15 000 ex.
Prix: 19,50 € ; 172 p.
ISBN: 9782080454409

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