Elle est assise à sa fenêtre, écrit le livre que nous tenons dans les mains. En l’an de grâce mille huit cent trente et un, Mary a 15 ans. Elle n’est pas très grande, ses cheveux ont la couleur de lait. La narratrice du formidable roman de Nell Leyshon a une jambe tordue sous elle, une "patte folle".
Elle est la dernière des quatre filles de son cogneur de père, après Beatrice qui ne lâche pas sa Bible, Violette qui se fait trousser dans le foin de la grange et Hope, "carne comme point". Toutes habitent une ferme avec une mère qu’on dirait absente et un grand-père qui dort dans la remise à pommes. Il y a aussi un coq, un cochon, des poules, des vaches et des agneaux.
Mary explique qu’elle est comme elle est. Pas simplette, pas lente. Que sa langue va "comme celle du chat qui lape le lait dans le seau". Tous les jours, il lui faut traire les vaches, labourer les trois arpents, ramasser les cailloux. La jeune fille, qui s’est promis de ne rien cacher, sait qu’elle a des rêves mais ne sait pas lesquels. Son quotidien change quand elle doit aller s’installer au presbytère à moins d’un kilomètre de là. Chez le révérend Graham dont la femme a le cœur faible et dont le fils a pour principe de ne se soucier de rien.
Voici Mary, logée et nourrie, lestée d’un tablier blanc et d’un chapeau épinglé dans les cheveux, qui aide la domestique Edna. Le révérend semble apprécier le franc-parler de celle qui est capable de lancer à son employeur qu’il mange autant que leur cochon le matin ! Une fille de ferme devenue fille de maison que le révérend trouve vive, avec "une astuce innée peut-être, de l’esprit"…
La couleur du lait frappe par la voix singulière qu’elle fait entendre. Par la manière dont Mary dévoile peu à peu les pièces de son histoire tragique. Née dans le comté du Dorset, Nell Leyshon a déjà publié trois romans non encore traduits en France, dont Black dirt, sélectionné pour l’Orange Prize. Terrible et parfaitement construit, La couleur du lait est une vraie révélation.
Al. F.