Avant-critique Roman

Martial Cavatz, "Les caractériels" (Alma Éditeur)

Martial Cavatz - Photo © Patricia Vernier

Martial Cavatz, "Les caractériels" (Alma Éditeur)

Dans son premier roman, Martial Cavatz retrace le parcours, de la cité à l'université, d'un narrateur malvoyant transfuge de classe.

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Par Sean Rose
Créé le 19.06.2024 à 09h00

D'une vision l'autre. Autres temps, autres mœurs... Dans l'Ancien Régime, on se targuait de ses quartiers de noblesse ou on essayait de se dénicher quelque ancêtre de haute naissance ; le bourgeois voulait être gentilhomme. Même longtemps après la Révolution, c'était toujours mieux de se dire bien né. Aujourd'hui, c'est l'inverse : réussir quand on est enfant d'ouvrier, fils de femme de ménage, voilà qui force l'admiration. Parfois vibre en ceux qui y sont arrivés la colère contre un système selon eux inique qui barre la route à tant d'autres défavorisés. Le premier héros prolétaire de la littérature française est Julien Sorel. Avec Le rouge et le noir, Stendhal inaugure le réalisme, mais encore épique et teinté de romantisme... Chez les écrivains contemporains « transclasses », d'Annie Ernaux à Didier Eribon en passant par Édouard Louis ou Abdellah Taïa, l'autofiction domine. L'auteur des Caractériels, Martial Cavatz, également issu d'un milieu populaire et ayant grandi dans une famille dysfonctionnelle, choisit le roman - c'est son premier - pour parler de sa transition sociale. Mais c'est sans ressentiment que le narrateur raconte son parcours de garçon originaire du quartier bisontin des 408 et brosse en creux son autoportrait de malvoyant. Car, en plus de la précarité matérielle, l'alter ego fictionnel souffre de déficience visuelle.

Vol de Caddies de supermarché, de vélos dans les caves, jeux où on se tape dessus gratuitement... Aux 408 à Besançon, tours rasées depuis, le jeune protagoniste aux grosses lunettes zone et tourne mal. À la maison, guère mieux, il se bat avec son beau-père, l'homme que sa mère avait rencontré à l'ANPE, le France Travail de l'époque. L'enfant a souvent le dessus, vu l'ébriété chronique de l'adulte... Quand naissent un frère puis une sœur, on expédie ce « turbulent » aîné dans un foyer... Il intègre un établissement pour malvoyants et non-voyants. Et le handicap de se transformer en ascenseur le faisant accéder à une réelle éducation. Grâce à l'école, le regard du « bigleux » dessille. L'écriture de Martial Cavatz restitue la condition sociale avec fraîcheur et cette profondeur de champ que permet la maturité. Dans la misère s'établissent encore des hiérarchies et le narrateur était tout en bas : « La cité vue de l'extérieur, c'est un sac-poubelle, on n'a pas trop envie de s'attarder sur le contenu. C'est juste un tas de pauvres. » Mémoires tendres de cet institut pour aveugles et malvoyants avec ses éducateurs engagés et ses sports aux yeux bandés, ce roman est avant tout une interrogation sur l'identité. Sont-ce les racines ou le mouvement qui vous fondent ? L'originel complexe d'infériorité, tel un stigmate indélébile, marque, et fait penser au héros transfuge de classe qu'il n'appartient sans doute à aucune classe, que socialement, il sera à jamais « un déclassé. »

Martial Cavatz
Les caractériels
Alma éditeur

Tirage: 3 000 ex.
Prix: 18 € ; 180 p.
ISBN: 9782362796289

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