Elle sait d’avance que s’attaquer à une figure aussi iconique que Simone de Beauvoir l’expose aux réactions hostiles des gardiens de la légende. Elle est habituée. Les combats, les prises de position à contre-courant, Marie-Jo Bonnet connaît. Il y a deux ans, l’historienne, auteure d’Adieu les rebelles ! (Flammarion, 2014), s’est vu par exemple déprogrammée dans des tables rondes pour s’être publiquement prononcée contre le mariage et la GPA [gestation pour autrui], des revendications qui, selon elle, n’étaient que le signe de la dérive conformiste du mouvement LGBT et de l’échec de la contre-culture homosexuelle. Militante au MLF dans les années 1970, cofondatrice du Front homosexuel d’action révolutionnaire (Fhar) et des Gouines rouges, elle n’a jamais fait mystère de ses orientations. "Je me suis toujours assumée", dit aujourd’hui sereinement cette spécialiste de l’histoire des femmes née l’année de la publication du Deuxième sexe dans une famille catholique traditionnelle et qui a éprouvé très jeune, face à sa propre mère, la difficulté d’être soi et d’être libre.
Armée de son sourire de jeune frondeuse de 66 ans, Marie-Jo Bonnet se prépare donc, avec Simone de Beauvoir et les femmes, à susciter quelques débats. Celle qui s’est intéressée il y a quarante ans aux relations amoureuses entre les femmes depuis le XVIe siècle puis à la place des femmes dans l’art, objet de quatre livres, s’est penchée sur les relations intimes qu’a entretenues Simone de Beauvoir avec ses "petites amies", comme les appelait Sartre.
Flouée par son modèle
Marie-Jo Bonnet a rencontré Beauvoir, qui a représenté pour elle et pour sa génération un modèle d’émancipation en actes, au début des années 1970. Jusqu’à ce que la correspondance de Simone de Beauvoir ne devienne en partie lisible et que la militante féministe éprouve l’impression désagréable "d’avoir été flouée". De fait, le portrait dressé dans cet essai, qui révèle, derrière l’intellectuelle bien structurée, une prédatrice manipulatrice et narcissique, écorne pour le moins le mythe. "Le fait de cacher sa vie amoureuse avec les femmes a eu forcément une incidence sur sa conception de l’émancipation des femmes. C’est ce clivage entre sa vie cachée et sa vie publique qui m’a intéressée. Son ambivalence, et quelque part sa haine des "clans de femmes affranchies"".
Ces dernières années, l’historienne a orienté son travail sur les femmes dans les guerres contemporaines. Elle vient également de contribuer, avec un article sur Ruth et Noémi, à l’ouvrage collectif L’étonnante histoire des belles-mères (Belin), et voudrait plus profondément se pencher sur la "maternité symbolique".Simone Beauvoir et les femmes a été écrit pendant la maladie de sa mère décédée en 2013, mère qui l’a obligée à penser la "relation d’emprise". Le livre lui est dédié. Elle s’appelait Simone. Véronique Rossignol
Marie-Jo Bonnet, Simone de Beauvoir et les femmes, Albin Michel, Prix : 22 euros, 340 p., sortie : 5 novembre, ISBN : 978-2-226-31671-4