Olivier Sulpice - Ça m’a donné un coup de fouet. Il y a deux ans, j’ai rouvert le livre jaune qu’on avait réalisé pour les 10 ans de la maison. Je comptais l’enrichir pour fêter nos 20 ans. Or j’ai constaté que rien de spectaculaire ne s’était passé les années précédentes. Je m’ennuyais un peu, j’avais l’impression qu’on ronronnait. L’approche de cet anniversaire m’a forcé à faire un bilan, à me recentrer sur ce que j’aime vraiment, l’édition. Il fallait trouver un souffle nouveau, que Bamboo se donne les moyens de ses ambitions de croissance. J’ai alors créé ma diffusion avec Greg Neyret, mon directeur commercial et marketing.
C’était le plus gros pari de la maison depuis sa création. Un bide aurait été un frein énorme à notre développement et aurait mis en péril nos rapports avec les centrales d’achat. Avec le recul, j’ai l’impression qu’à chaque étape de notre développement nous avons eu la diffusion qui nous convenait. Nous avons débuté sans, puis avec un petit diffuseur local, ensuite Interforum, La Diff, Delsol et Bamboo diffusion. La première année, les ventes de nos titres ont progressé de 35%. Nous pouvons multiplier les opérations, être à l’écoute de chacun des réseaux, et travailler un peu mieux le réassort. C’est la collection "Grand angle" qui en a le plus bénéficié avec Les sisters, portée par l’adaptation en dessin animé diffusée sur M6. Les ventes ont gagné 60% et même doublé pour le tome 1.
Oui. Avant, nous prenions les droits audiovisuels mais nous n’en faisions rien, faute de réseau. J’ai monté une première boîte de production il y a quinze ans pour adapter Les profs en sitcom, mais nous avons pris le bouillon. Le virage est venu avec Les profs, encore, lorsque UGC en a acquis les droits. Avec ses 4 millions d’entrées, ça a été le plus gros film français de 2013. Mais la transformation en vente de livres n’est pas aussi marquée que pour le dessin animé. La série des Sisters, dont la saison 2 est en cours de réalisation, va avoir un impact sur les livres pendant des années car les héros sont identiques aux personnages de l’album et non assimilés à un acteur. Mais je persiste avec le cinéma. Suite à la rencontre avec Matthieu Zeller, ancien directeur général de StudioCanal, j’ai créé Bamboo Films dont il est le directeur général. Nous voulons développer un long-métrage par an et travaillons déjà sur deux films en coproduction: L’adoption avec Mandarin, producteur d’OSS 117, et A coucher dehors avec Nolita, producteur de Brillantissime. Par ailleurs, une dizaine de nos titres sont optionnés.
Ce qui m’importe, c’est que, quand un auteur signe avec nous, il ait les mêmes chances qu’avec une grande maison. Je veux offrir le même panel de services qu’un gros éditeur ou, plus précisément, que Dargaud, qui reste pour moi la référence et le meilleur. C’est un formidable catalogue et une véritable machine de guerre. Je veux pouvoir proposer la même chose, que ce soit pour les droits d’auteur, la diffusion, le numérique ou les cessions audiovisuelles.
Pour la petite histoire, c’est Claude de Saint Vincent [le directeur général de Média-Participations, ndlr] qui a mis les producteurs d’UGC en contact avec nous, alors qu’ils faisaient Ducobu. Je lui ai même soumis le contrat qu’ils m’avaient proposé! J’aime bien mes confrères, pris un par un, mais j’ai plus de mal dès qu’ils sont réunis. Je ne suis pas au groupe BD du Syndicat national de l’édition. J’ai participé de loin aux débats sur le Festival d’Angoulême. Il n’y a que pour Izneo que j’ai rejoint le mouvement collectif.
Je suis très heureux de contribuer à l’aventure de ce journal, qui a marqué plusieurs générations, et de ses auteurs. Avec Fluide et Bamboo, je suis dans l’humour jusqu’au cou. Nous prenons nos marques, j’ai rapatrié mes bureaux parisiens chez Fluide. Je viens de vendre les 360 m2 que j’avais achetés à Montreuil il y a neuf ans pour installer le marketing et la communication. Ce n’était pas utile et j’ai rapatrié la majeure partie de l’équipe à Charnay-lès-Mâcon. En fin d’année, je vais prendre un secrétaire général pour assurer la gestion du quotidien et me libérer un peu de temps pour retourner à mon travail d’éditeur.
Il n’y a pas de volonté d’intellectualiser notre ligne ou de chercher une légitimité dans le monde de l’édition. Ce n’est pas une stratégie de développement. Un auteur important de notre catalogue, Jim, m’a montré le premier roman de son fils. Je lui ai proposé de l’éditer et je lui ai demandé de diriger "Grand Angle. Roman" sous la responsabilité d’Hervé Richez. Peut-être qu’on fera trois ou quatre romans, puis on arrêtera. Je n’ai pas d’attente particulière, je lui fais confiance.
Cela nous permet d’avoir le spectre le plus large possible. Avec Arleston, nous avons créé en février la société Drakoo. A moi le commerce et le marketing, à lui l’éditorial pour proposer 4 à 8 titres chaque année, à partir du deuxième trimestre 2019, dans la BD d’imaginaire, de la science-fiction à la fantasy avec même de l’horreur.
Je n’ai jamais aucun regret, c’est ma devise. Je préfère essayer et me planter. Nous avons développé en 2005, peut-être un peu tôt, les comics, et arrêté au bout de deux ans faute de ventes suffisantes. Les jeux pour smartphone en 2011 ont nécessité 200 000 euros d’investissement pour adapter Les rugbymen et nous avons vendu 40 000 jeux à 99 centimes. Lorsque vous lancez un nouveau projet, vous avez plus de chance d’échouer que de réussir. Quand j’ai créé Bamboo, mon objectif était d’atteindre un jour 1,5 million d’euros de chiffre d’affaires. Nous en avons généré 21 millions en 2017. Et malgré la croissance, nous avons conservé notre image de gens honnêtes, ce qui m’importe énormément. Pour ces 20 ans, tout est en place et tout est cohérent