Marché

Marché : peut-on croire à la reprise ?

A la librairie L’Arbre à lettres, rue du Faubourg-Saint-Antoine, Paris 12e. - Photo Olivier Dion

Marché : peut-on croire à la reprise ?

Avec une ampleur inédite depuis 2009, les ventes de livres affichent chaque mois depuis décembre une progression sensible par rapport à l’année précédente. Alors que le climat économique semble s’améliorer, cette performance supérieure à celle de l’ensemble du commerce de détail bénéficie particulièrement aux librairies traditionnelles, alors que la vente en ligne est à la peine.

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Par Clarisse Normand,
Créé le 01.05.2015 à 04h04 ,
Mis à jour le 08.05.2015 à 19h00

Avec une progression de 4 % en mars, le baromètre mensuel Livres Hebdo/I+C des ventes de livres au détail en France enregistre sa quatrième hausse consécutive. Le marché a progressé de + 1 % en décembre, + 5,5 % en janvier et + 3,5 % en février. Ces performances sont d’autant plus remarquables qu’elles succèdent à une érosion de l’activité quasi continue depuis 2010. Il faut remonter à 2009 pour retrouver une série de hausses d’une telle ampleur. Cette embellie est d’ailleurs confirmée par GFK, qui estime de son côté la hausse à 7,2 % pour le premier trimestre 2015.

Certes, les chiffres de ce début d’année viennent un an après un mauvais hiver 2014 (- 4 %), marqué notamment par le dépeçage de Chapitre. Il n’empêche que l’embellie, poursuivant une amélioration amorcée au second semestre 2014, est clairement perçue sur le terrain. Pour la première fois depuis longtemps, les échos des libraires comme ceux des diffuseurs sont très largement positifs. L’amélioration du contexte économique y contribue. Selon l’Insee, les dépenses de consommation des ménages ont progressé sur trois mois cumulés, entre décembre 2014 et février 2015, de 2,1 % par rapport à la même période de l’année précédente. Cette évolution procède de l’amélioration du pouvoir d’achat liée à la fois à la baisse du prix du pétrole, qui allège notamment les factures énergétiques, et à la désinflation. Surtout, pour la première fois depuis 2008, le moral des Français remonte légèrement, si l’on en croit l’observatoire Cetelem. Par conséquent, les perspectives d’achats se redressent elles aussi, les voyages et les loisirs occupant toujours la première place des intentions de consommation.

Amplifiant le phénomène apparu l’été dernier, la tendance annuelle des ventes de livres reflète ces bonnes performances (voir graphique ci-dessus). Non seulement le livre renoue avec la croissance, mais il fait bien mieux que la moyenne de l’ensemble du commerce, tous produits confondus. Pour Philippe Touron (Le Divan, Paris), ce décalage s’explique par la qualité du public des librairies : "Quand ça va mieux économiquement, nos clients sont particulièrement réactifs."

 

Une production éditoriale séduisante

Le livre a aussi bénéficié en ce début d’année d’un ensemble de facteurs qui lui sont propres, à commencer par une production éditoriale qui séduit les lecteurs. En témoignent les succès de Soumission de Michel Houellebecq et de Temps glaciaires de Fred Vargas, parus tous deux chez Flammarion, respectivement début janvier et début mars. Au-delà, Xavier Moni (Comme un roman, Paris) observe un dynamisme éditorial général depuis un an, citant Le Royaume d’Emmanuel Carrère, En finir avec Eddy Bellegueule d’Edouard Louis ou encore L’Arabe du futur de Riad Sattouf. "En quinze ans de métier, je n’ai jamais connu une telle concentration de phénomènes éditoriaux, se félicite le libraire. Cela se ressent très positivement sur la fréquentation du magasin et sur son activité. Nous avons ainsi vendu 500 exemplaires de Soumission et presque autant du Royaume. Comme quoi, le livre fait encore événement."

Surtout, comme son confrère Dominique Fredj (Le Failler, Rennes), Xavier Moni note avec satisfaction que ces très bonnes ventes ne viennent pas écraser le reste de la production, mais au contraire le dynamiser. Les ouvrages pratiques, en particulier ceux liés au développement personnel, ou encore certains livres érotiques, dont la série After d’Anna Todd, ont eux aussi tiré le marché. Pour Pascal Bidaud (Les Caractères, à Colombes), la croissance à deux chiffres enregistrée par sa librairie au premier trimestre relève surtout d’une hausse du panier moyen d’achat. Et, à l’instar de nombre de ses confrères, il estime que l’activité du premier trimestre a aussi été marquée par les attentats qui ont décimé la rédaction de Charlie Hebdo début janvier à Paris. Tout en enregistrant une forte demande sur les titres des auteurs assassinés, les libraires ont vu venir vers eux des lecteurs désireux de comprendre, mais aussi de prendre du recul et de renouer avec des valeurs fondamentales. A côté des nombreuses ventes de livres concernant l’islam, à commencer par le Coran, le Traité sur la tolérance de Voltaire (Folio) est venu s’inscrire dans les meilleures ventes de poche durant onze semaines consécutives. Dans le réseau Maison de la presse, "l’effet Charlie a été très sensible, note René Faussereau, responsable du livre. Les gens ont eu besoin de lire et, à cette occasion, certains ont découvert nos points de vente. Ce qui est très positif, c’est que ces derniers ont parfois gagné de nouveaux clients qu’ils conservent aujourd’hui."

Au-delà des achats, les libraires ont également senti de la part de leurs clients une envie et même un besoin d’échanger sur ce qui s’était passé. "On a senti une vraie demande de contacts humains dans des lieux physiques", résume Xavier Moni. Cela explique en partie que les librairies indépendantes soient les premières bénéficiaires de l’embellie, qui touche plus largement l’ensemble du commerce du livre "en dur". Les grandes surfaces spécialisées et les hypermarchés affichent eux aussi des évolutions positives depuis le début de l’année selon le baromètre Livres Hebdo/I+C (voir p. 38). En revanche, selon les diffuseurs, les ventes en ligne enregistrent pour la première fois des contre-performances (voir article page suivante).

Des clients plus que jamais à l’écoute

Derrière ces évolutions, les libraires veulent voir plus qu’un facteur conjoncturel. Nombre d’entre eux souhaitent croire que leurs efforts portent leurs fruits et font la différence. Joëlle Lesauvage (Ryst, à Cherbourg) a "le sentiment que les gens sont plus réceptifs à notre travail et aux efforts que nous faisons pour nous démarquer et pour bien les accueillir. On sent qu’ils ont envie d’être pris en compte, considérés… quitte à se montrer moins exigeants sur d’autres choses, par exemple si nous n’avons pas le livre qu’ils recherchent et que nous devons le commander, observe la libraire. Oui, je crois qu’ils étaient plus exigeants à notre égard il n’y a pas si longtemps encore." Pour Dominique Fredj (Le Failler, à Rennes), "le rapport personnel établi avec le lecteur est un atout capital des librairies indépendantes. Il me semble que nos clients sont plus que jamais à l’écoute de nos conseils, dit-il. Lorsque nous affichons un coup de cœur, il n’est pas rare que les ventes dépassent les 100 exemplaires, ce qui arrivait très peu auparavant."

Dans un autre registre, les efforts des libraires pour apporter de nouveaux services, parmi lesquels les plateformes de géolocalisation sur Internet, semblent aussi appréciés. "C’est une offre alternative aux grands sites marchands qui commence à être connue et prise en compte dans les pratiques d’achat, se réjouit Xavier Moni. Comme un roman fait partie, comme une centaine d’autres établissements, du site Paris Librairies qui permet aux clients de savoir où se trouvent les livres qu’ils cherchent et d’aller ensuite les y acheter. Désormais, nous réalisons tous les jours dans notre magasin des ventes par ce biais."

Confiants mais aussi conscients, à l’image de Muriel Bonnet-Laborderie (réseau Furet du nord), qu’il ne faut rien lâcher, mais au contraire creuser l’avantage, les libraires veulent renouer avec la confiance, voire l’optimisme, même s’ils savent qu’il est trop tôt pour crier victoire. Certains craignent même d’afficher en avril un bilan plus nuancé. Mais il faudra toutefois relativiser au regard de certains effets calendaires liés aux dates de vacances.

Les libraires retournent moins de livres

Corrolaire du redressement de l’activité, les retours ont significativement diminué ces derniers mois.- Photo OLIVIER DION

Une fois n’est pas coutume, les retours ont fortement baissé au début de l’année. "Jusqu’à la mi-février, ils étaient chaque semaine en recul significatif par rapport à l’an dernier, constate Bouchaïb Moudakir, directeur de la plate-forme interprofessionnelle de tri du transport, Prisme. Ils ont, depuis, rattrapé une partie de leur retard, mais restent encore fin mars, pour le premier trimestre, en repli de 3 %." Cette évolution favorable n’est pas sans lien avec le redressement de l’activité depuis l’automne. Mais, pour Pascale Buet, directrice de la diffusion de Flammarion Diffusion, elle est surtout attribuable à l’évolution du marché des beaux livres. "Ce sont des ouvrages fortement mis en place pour les fêtes et donc gros pourvoyeurs de flux en début d’année, rappelle-t-elle. Or, depuis deux ans, il y a moins de parutions dans ce secteur, et surtout moins de grosses mises en place." Fort d’une baisse de 11 % des retours au premier trimestre, le directeur général du CDE, Mathias Echenay, considère cependant que les libraires ont globalement "mieux vendu et mieux acheté". Parmi ceux-ci, beaucoup reconnaissent gérer leurs achats de manière plus serrée, quitte à commander plus souvent. A l’instar de Dominique Fredj (Le Failler, à Rennes), certains estiment que leurs efforts pour faire découvrir le fonds portent aussi leurs fruits. "Sans affaiblir notre stock, observe le libraire rennais, nous avons fait reculer nos taux de retours en 2014 de 21 à 18 %. L’objectif est d’arriver à 15 %."

La tendance annuelle s’envole

Alors qu’il souffrait plus durement de la crise que les autres secteurs économiques, le livre voit sa tendance annuelle remonter au-dessus de celle du commerce depuis quatre mois.

La vente en ligne marque le pas

Alors que le marché du livre renoue avec la croissance, le circuit de distribution le plus en vogue, lui, patine pour la première fois.

Dans les entrepôts d’Amazon, à Lauwing-Planque (Nord)- Photo OLIVIER DION

C’est l’élément le plus marquant dans l’évolution récente du marché. Les ventes réalisées sur Internet sont à la peine. De nombreux diffuseurs en témoignent. Au CDE, où l’activité du premier trimestre s’inscrit en hausse de 40 %, les ventes en ligne sont en recul de 0,6 %. Chez Actes Sud diffusion, où le premier trimestre se solde par un essor de 6 % de l’activité, Internet accuse une chute de 20 %. Bien que ne communiquant aucun chiffre, le directeur commercial d’Hachette Livre, Francis Lang, confirme aussi à sa (grande) échelle la contre-performance du commerce en ligne.

Sans parler de baisse, la directrice de diffusion de Flammarion Diffusion, Pascale Buet, reconnaît qu’il marque le pas depuis presque un an. Le phénomène est, selon elle, largement attribuable à Amazon, qui domine ce canal. "Amazon a pâti de la campagne médiatique dénonçant ses fraudes fiscales mais aussi de la nouvelle loi interdisant d’octroyer aux clients sur Internet une remise de 5 % sur le prix des livres dès lors que ceux-ci ne sont pas retirés en librairie. Ce qui n’a pas forcément nui autant au numéro deux du secteur, Fnac.com, qui a pu continuer à offrir cet avantage en s’appuyant sur son réseau de magasins."

Causes structurelles

Amazon n’est pourtant pas le seul site de commerce en ligne à se retrouver en porte-à-faux au moment où le marché du livre connaît une embellie. Pour Mathias Echenay, directeur général du CDE, la contre-performance d’Internet s’explique par des éléments plus structurels que le discours anti-Amazon et la volonté des consommateurs d’aider au maintien des commerces de proximité. Selon lui, "les sites ont surtout pâti du durcissement de leur politique d’achat. A force de vouloir réduire leurs stocks et gagner toujours plus, ils sont allés trop loin et se retrouvent aujourd’hui régulièrement en rupture. Ce phénomène est particulièrement sensible sur les gros best-sellers et, à l’inverse, sur les petits tirages." Même constat chez Actes Sud diffuseur, où l’on observe, pour les quatre plus gros sites de vente en ligne, une baisse des achats sur l’ensemble des titres, entraînant un déplacement de la pression logistique vers les distributeurs. Confirmant le décrochage d’Internet et en particulier d’Amazon, dont le poids a reculé de 10 % à 7 % en un an, le président de la Sofédis, Marc Galitzky, estime tout simplement que les sites Internet sont aujourd’hui moins bons qu’ils ne l’ont été". Il reste que, après de nombreuses années de croissance ininterrompue, ils ont sans doute aussi atteint un certain niveau de maturité. Selon le dernier baromètre TNS Sofres réalisé pour le ministère de la Culture, Internet a représenté, en 2014, 18,5 % du marché du livre, à parité désormais avec les librairies généralistes et spécialisées (hors maisons de la presse, librairies-papeteries et kiosques).

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