Fruit d'un travail de longue haleine réalisé par Victor Orbán depuis le début de son entrée en fonction, la stigmatisation de la communauté LGBTQ+ s'est intensifiée cette année à travers une série de mesures ciblant le monde de l'édition et plus particulièrement les livres jeunesse. Le 15 juin 2021, un projet de loi est adopté. Il vise à interdire "la mise à disposition aux enfants de moins de 18 ans de contenus qui montrent ou encouragent la sexualité en elle-même, le changement de genre ou l'homosexualité" dans l'espace public. La censure s'intensifie quelques mois plus tard par un décret publié le 6 août. Tous les titres "exprimant l'homosexualité" ou "représentant une déviation de l'identité de genre" devront désormais être présentés dans un emballage fermé et interdits à la vente dans un rayon de 200 mètres autour des églises et des écoles.
Denoncée dans le pays et à l'international, cette série de mesures fait la une de nombreux journaux, plaçant les textes et les éditeurs engagés sous les feux des projecteurs. 1500 exemplaires de Meseország mindenkié, sont vendus après la performance de la députée conservatrice de droite et de nombreuses traductions de deux livres inclusifs de Lawrence Schimel sont vendues suite aux attaques répétées du gouvernement. "Toutes ces traductions ont été vendues en partie grâace aux attaques homophobes du gourvernement hongrois car les gens ont peur qu'il se passe la même chose chez eux", explique l'auteur américain. Toutefois, si le scandale lié aux lois permet une plus forte visibilité des problématiques LGBTQ+, il n'empèche pas les éditeurs de devoir désormais composer avec de nouvelles problématiques.
Des jumelages contestés
Face aux menaces répétées, la production des textes se complique. "L'objectif de ces lois est d'intimider et de conduire les auteurs, les éditeurs, les fournisseurs et les personnes LGBT à se censurer", précise à Livres Hebdo Anna Borgos, membre de Labrisz Leszbikus Egyesület. Créée en 1999, cette association hongroise encourage la diffusion d'idées fondées sur la tolérence et la différence. Forte d'une compétence éditoriale, elle publie depuis sa création des textes que les "maisons d'édition classiques" n'oseraient éditer. "Les maisons préfèrent souvent ne pas prendre le risque de publier de tels livres", résume la militante.
C'est par ce biais associatif que se développe de plus en plus, en Hongrie comme dans d'autres pays, une chaine de production parallèle. Ainsi, l'ONG allemande Start Next propose aux habitants de Stuttgart d'acheter deux exemplaires du livre de Lawrence Schimel. Un est déstiné à leurs enfants, un autre est envoyé à une famille de la ville polonaise Lodz, ville assumant être une "zone sans LGBT", et jumelée avec Stuttgart. La région de Lodz est également jumelée avec le département du Nord, en France, lequel a suspendu son partenariat en 2015.
Pour les acteurs du livre, ce sont aussi les modes de diffusion qui sont à revoir. "De ce que nous avons compris, il n'y aura pas d'emballage opaque sur les sites en ligne car la loi n'implique pas les achats en ligne", explique Boldizsar Nagy, l'éditeur hongrois de Lawrence Schimel.
La Bible concernée
Au delà des critiques de fond adressées à cette série de mesures, la forme, notamment le flou législatif qui entoure les décrets, est pointée du doigt. Peu après l'annonce de ces dernières, l'association des éditeurs et distributeurs de livres hongrois a d'ailleurs demandé au gouvernement de dresser une liste précise des livres qui représentent l'homosexualité ou la déviance par rapport au sexe de naissance. "La formulation de ces textes de lois est absurde", avait déclaré à cette occasion le président de l'organisation de défense et de promotion du livre, Katalin Gál," selon une interprétation stricte, même la Bible doit désormais être vendue avec une couverture, car elle contient de nombreux passages sur la sexualité et même l'homosexualité".
Faille de taille, ce flou législatif offre aux éditeurs et aux distributeurs une certaine mobilité. Labrisz Leszbikus Egyesület, qui a notamment publié le conte pour enfants Meseorsaag mindenkié, a par exemple décidé d'ajouter une étiquette "Les contes de fées sont pour tout le monde - même emballés" sur les blisters opaques imposés par l'état. Un signe de "protestation" encore légal pour l'association militante. Même combat du côté de la chaine de librairies Lira Könyv dont chaque devanture est désormais décorée d'un panneau "contenu non traditionnel" en réponse au texte de loi désignant tout livre LGBTQ+ comme "non traditionnel". L'enseigne multifonction a par ailleurs entamé la publication d'un receuil de textes LGBTQ+ intitulé Tiltott szerelem, littéralement "amour interdit".
Malgré cet élan de résistance, de nombreux militants et intellectuels ont déjà quitté le pays. Acculé par une pression allant jusqu'aux menaces de mort, Boldizsar Nagy fera parti d'eux dans peu de temps. "Ce n'est plus une démocratie et je ne veux pas vivre dans une petite Russie", regrette-t-il.