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Librairies hybrides : quand le livre se lie à toutes les passions

La librairie Provisions, à Marseille. - Photo © Louise Skadhauge© Louise Skadhauge

Librairies hybrides : quand le livre se lie à toutes les passions

Avec vos livres, souhaitez-vous des fleurs, une bière, un cours de céramique ? Depuis quelques années, à la faveur d'une vague de création de librairies, des concepts hybrides voient le jour. Une façon de varier les plaisirs, mais aussi et surtout de démocratiser l'accès à la librairie et de contribuer à son équilibre financier.

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Par Cécilia Lacour, Souen Léger
Créé le 08.01.2024 à 16h35

Certaines librairies sont des commerces doublement essentiels. En ville comme en milieu rural, elles osent le mélange des genres, présentant sur une même étagère bandes dessinées et bouteilles de bière, recueils de poésie et boîtes de conserve, romans policiers et articles de droguerie... Des commerces hybrides qui ont le vent en poupe depuis plusieurs années, mais qui n'ont rien d'une nouveauté.

« Aux XVIIIe et XIXe siècles, à la fois parce que les ressources tirées de la vente des livres n'étaient pas suffisantes et aussi pour accroître leurs bénéfices, bon nombre de libraires vendaient également les objets les plus divers : articles de papeterie, maroquinerie, mercerie, objets religieux, ou encore objets à l'usage de la marine dans les villes portuaires », retrace l'historienne Patricia Sorel, autrice d'une Petite histoire de la librairie française (La Fabrique, 2021).

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La librairie La Droguerie, à Saint-Malo.- Photo © SOUEN LÉGER

Du lieu de vente au lieu de vie

Dans l'histoire plus récente, les -librairies-cafés, qui surgissent dans les années 1990, sont le fer de lance de ce mouvement. En particulier en Bretagne, où, dès 1993, Caprini et Lan Mafart inaugurent CapLan & Co, un café--librairie-galerie d'art à Guimaëc (Finistère). « Ils ont eu une autorité forte et ont fortement valorisé l'idée de librairie-café, explique Laurent Delabouglise, consultant et fondateur de L'Art du commun. CapLan a eu un effet d'entraînement» Et Patricia Sorel de compléter : « Avec la loi Lang de 1981, qui instaure le prix unique du livre, les libraires ont tout intérêt à se distinguer par leur assortiment et par les animations qu'ils proposent. Le lieu de vente doit être aussi un lieu de vie. Dans les années 1980-1990, on voit ainsi les libraires proposer des fauteuils et du café, dans une nouvelle approche davantage orientée vers la clientèle. » Ainsi, la librairie Dialogues à Brest propose un café de 80 places assises dès 1997. Bientôt suivront L'Armitière à Rouen, La Galerne au Havre, La Boîte à livres à Tours, ou encore Decitre à Grenoble...

Tant et si bien que, en 2018, l'Agence régionale du livre Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) a recensé 110 librairies-cafés dans l'Hexagone, dont 23 % sont situées en Bretagne - où une Fédération des cafés-librairies de Bretagne existe d'ailleurs -, 16 % en PACA et 14 % en Île-de-France. Dans leur sillage, nombre d'enseignes multiplient les casquettes. « On observe une tendance de fond sur la diversification croissante de l'offre des produits vendus en librairie, constate Laurent Delabouglise. Les librairies vendent de plus en plus de choses en dehors du livre, et pas seulement de la papeterie ! »

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Intérieur de la librairie Athenaeum à Beaune.- Photo © MICHEL BAUDOIN

Des motivations variées

Ainsi, le livre se mêle au vin comme dans les librairies-caves à vin Le Chat perché (Colmar) ou Athenaeum (Beaune), mais aussi à la bière à La Livrerie des Jacobins (Rennes). Le livre s'accompagne d'un bon repas à Tram (Paris Ve) ou au Tagarin (Binic-Étables-sur-Mer), de sessions de jeux à Trollune (Lyon) ou à L'Aventure (Magny-en-Vexin). Certains jours de la semaine, la librairie devient aussi dépôt de pain au Bal (Concarneau) ou brocante à La Souris des champs (Bécherel). Et pas uniquement en France ! À Madrid, par exemple, on peut siroter un verre de vin ou un cocktail au bar de la librairie Tipos Infames.

Ces enseignes ont « des motivations très différentes : il peut y avoir un intérêt financier et commercial, la vente de certains produits permettant de compenser les marges faibles sur le livre, mais il peut aussi s'agir de renforcer la convivialité de la librairie avec un espace café, ou bien de conforter sa dimension sociale et territoriale avec un espace de coworking ou via une offre de service inexistante sur le territoire », considère Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la librairie française. « C'est aussi une porte d'entrée plus douce vers le livre, on entre sans se dire que c'est un commerce d'intellos », estime pour sa part Jill Cousin, créatrice de la librairie-épicerie Provisions à Marseille.

Numéros d'équilibristes

Un phénomène d'hybridation qui concerne essentiellement les créations de librairie, et de petites unités. « Bien souvent, ce sont des néolibraires qui viennent d'un autre univers professionnel et qui ont envie d'associer plusieurs plaisirs. Cela permet d'avoir des lieux mixtes qui attirent une autre clientèle, qui invitent à rester, et à revenir fréquemment », juge Xavier Deshors, directeur de Book Conseil. L'organisme de formation propose plusieurs modules sur les produits complémentaires que sont la papeterie, les jeux et jouets, ou encore le café littéraire. « Dans notre accompagnement, on précise qu'il faut veiller à ce que cette activité ne dépasse pas les 20-30 % du chiffre d'affaires », indique-t-il.

« Il ne faut pas penser que la double activité doit permettre un équilibre économique, prévient Laurent Delabouglise. Il faut qu'il y ait un public potentiel pour la librairie et pour l'autre activité, et ce n'est pas forcément le même. La librairie doit donc pouvoir être solide seule, d'un point de vue financier. » Dans le cas d'une librairie-café ou d'une enseigne proposant des formules de restauration, la vigilance est doublement de mise. « Ce sont deux activités extrêmement exigeantes en termes de temps de travail et qui nécessitent beaucoup de mobilisation physique », poursuit Laurent Delabouglise. Si bien qu'à terme il serait courant « qu'une activité devienne dominante ». En revanche, à en croire le consultant, diversifier ses rayons en proposant d'autres produits que des livres ne fait pas courir les mêmes risques aux propriétaires. « Vendre des livres et du vin, par exemple, c'est avoir deux activités commerciales classiques sans trop de risques d'étalement du temps de travail », complète-t-il.

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La librairie Provisions, à Marseille.- Photo LOUISE SKADHAUGE

Tout est donc une question d'équilibre. « Le livre, on en trouve dans tous types de commerces : chez Biocoop, Naturalia, Animalis... Dans l'esprit inverse, on peut imaginer associer le livre à bien d'autres offres. Il s'agit toutefois de ne pas dénaturer le commerce de livres, on reste des libraires », insiste Xavier Deshors. Pour Guillaume Husson, du SLF, en cas de double casquette, « le tout est de bien faire les deux et de ne pas perdre de vue que le livre n'est pas un prétexte, mais qu'il doit rester une fin en soi. »

Qu'elles placent le livre au tout premier plan, ou qu'elles l'associent habilement à d'autres produits et services, rencontre avec cinq librairies qui ont choisi... de ne pas choisir.

Jusqu'à la faim : librairie Provisions à Marseille

Raisin d’être : librairies Le Chat perché à Colmar et Athenaeum à Beaune

Boîte à modeler : Fracas à Lorient

Brosses à relire : librairie La Droguerie à Saint-Malo

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