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Les entreprises, sérieux débouchés pour le livre ?

Masterclass organisée par StudioCanal sur l'adaptation de La plus précieuse des marchandises de Jean-Claude Grumberg (Seuil). - Photo Maxime Gimenez

Les entreprises, sérieux débouchés pour le livre ?

Quand le pouvoir d'achat des ménages français stagne, le livre cherche des débouchés... dans le monde du travail. C'est ce que promeut le Centre national du livre, qui accompagne les entreprises dans des animations littéraires. Pour trois bonnes raisons et de multiples manières.

Par Fanny Guyomard
Créé le 10.10.2025 à 16h30

(Ré)concilier

En mars 2024, le Centre national du livre lançait une charte proposant d'accompagner des entreprises dans la promotion de la lecture. Neuf à ce jour. « Des patrons d'entreprise nous disent qu'ils ont du mal à retenir leurs salariés, donc que l'on doit créer des espaces de discussion. Et le livre permet ça. Nous allons donc les accompagner dans leur démarche, faire en sorte que le livre se glisse partout », annonçait la présidente du CNL Régine Hatchondo lors d'une rencontre en marge du festival Étonnants Voyageurs 2024. Rejointe par Frédéric Martin, alors aux éditions du Tripode : « Plutôt qu'un séminaire aux Baléares, on peut inviter un auteur. Le meilleur ciment d'une entreprise. »

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Rencontre avec Céline Mas à la librairie Gros Câlin.- Photo LIBRAIRIE GROS CÂLIN

Sous le pavé la plage ? L'été 2024, les 121 membres du groupe de lecture en ligne de l'Association pour l'emploi des cadres (Apec), première entreprise à signer avec le CNL, ont partagé leur liste de lectures de vacances. Comme le souhaite Gilles Gateau, le directeur général de l'Apec, « le livre amène une ouverture d'esprit, contre les idées reçues dans le monde du travail - ce candidat-là est trop vieux, trop jeune, pas du bon quartier, pas le bon nom… ». 

La bonne idée : « En entretien d'embauche, on cherche à provoquer des rencontres en sortant des cadres habituels de la relation recruteur-candidat, que l'IA rend encore plus formatée », avance Gilles Gateau. Des candidats sont ainsi invités à déambuler dans un musée et à présenter au groupe de recruteurs une œuvre qui les touche. « Nous souhaitons faire la même chose pour la lecture, avec un coach et un auteur ou un critique qui enseignent à bien savoir parler d'un livre, ce qui permet de dire des choses de soi. »

Former autrement

À la librairie Gros Câlin, Guerrick Fouchet se voit demander des rencontres entre des employés et des auteurs qui ont écrit sur le domaine d'activité de l'entreprise intéressée, « ou des sujets généraux comme le RSE, l'IA, le management nouvelle génération », illustre le libraire. « Les gens sont compétents dans leur domaine (comptabilité, finance…), mais ils ont certainement des choses à apprendre en culture générale, sur le monde qui les entoure, toutes les réflexions que peuvent apporter les philosophes, les sociologues, les historiens sur la manière de se comporter en entreprise », défend-il. Un soir, l'historien philosophe Rémi Brague a par exemple présenté La morale remise à sa place (Gallimard) à une vingtaine d'auditeurs, dans l'espace chaleureux de la librairie. L'entreprise peut acheter le livre en amont et l'offrir à chacun.

Cette respiration instructive est aussi la mission des bibliothèques d'entreprise, en perte de vitesse - elles étaient plus de 1 200 en 1991 et autour de 1 500 en 2007. L'énergéticien européen wpd a lancé la sienne fin 2023 « pour aider nos collaborateurs à mieux s'approprier les enjeux de transition écologique dans toute leur complexité », indique Lola Bluwol, qui s'occupe avec des collègues volontaires d'acheter le fonds de leur bibliothèque auprès du libraire local. Essais sur la transition agricole, sur la pollution, la protection de la biodiversité… Romans de science-fiction qui imaginent des utopies ou des dystopies, Guides de voyage bas carbone… Le tout accessible sur le lieu de travail, ce qui est pratique quand l'employé n'a pas le temps de se rendre dans sa médiathèque communale. L'entreprise compte « démultiplier la démarche dans les sept autres agences françaises ».

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Rencontre à Canal+ avec le réalisateur Michel Hazanavicius, qui a adapté La plus précieuse des marchandises de Jean-Claude Grumberg (Seuil).- Photo MAXIME GIMENEZ

Une bonne culture littéraire est particulièrement nécessaire dans une entreprise comme Canal + qui a lancé l'année dernière le label StudioCanal Stories pour centraliser l'activité d'adaptations littéraires en séries et films. « Actuellement, les adaptations littéraires représentent 25 % de notre line-up de développement de séries », indique Sarah Reese Geffroy, directrice de StudioCanal Stories et du développement des séries TV, citant le livre Swept Away de Beth O'Leary en cours d'adaptation. Côté cinéma, six adaptations sont dénombrées pour 2025, comme Connemara, adapté du roman éponyme de Nicolas Mathieu, réalisé par Alex Lutz sorti le 10 septembre ou encore Chien 51 de Laurent Gaudé, mis en images par Cédric Jimenez pour une sortie le 15 octobre). Pour 2026, mentionnons Changer l'eau des fleurs de Valérie Perrin, qui donnera lieu à un film réalisé par Jean-Pierre Jeunet, et bien d'autres. « Nous souhaitons accélérer la création d'adaptations de livres en films et séries, nous positionner comme leader mondial des adaptations littéraires », ambitionne Sarah Reese Geffroy.

La bonne idée : Organiser une table ronde durant laquelle Michel -Hazanavicius raconte ses choix pour adapter La plus précieuse des marchandises de Jean-Claude Grumberg. Plus ludique : un quiz littéraire autour des auteurs, de l'actualité des adaptations… avec des livres offerts à ceux qui ont gagné le plus de points. Sarah Reese Geffroy avait quant à elle assisté à une conférence du CNL sur les bienfaits du livre. « La lecture mobilise l'imagination, l'empathie, les capacités de concentration. C'est aussi une manière d'améliorer sa compréhension du monde, stimuler l'intelligence et la créativité, transmettre des valeurs », loue-t-elle.

Insuffler la culture de l'entreprise

« Transmettre des valeurs » : dans les 180 bibliothèques physiques (et le service de prêt de livres par correspondance) du Comité central du Groupe public ferroviaire (CCPGF), lié à la SNCF, « l'orientation politique du syndicat transparaît dans nos collections », indique Claire Pollet, bibliothécaire du service du livre et des bibliothèques. Comme dans les animations, qui proposent par exemple des ateliers d'écriture où les cheminots racontent leur travail. Un prix lancé cet été invite les enfants à lire dans leur colonie de vacances de cheminots une sélection d'ouvrages « porteurs des valeurs du CCPGF, comme le vivre ensemble et le respect de la planète », tels que Pas de futur sans nature ! de Jeanne Cochin et Marie Debrouwère (Delachaux et Niestlé).

La bonne idée : Certaines entreprises demandent au libraire de Gros Câlin, Guerrick Fouchet, de présenter les livres préférés de leurs fondateurs, ou des biographies d'entrepreneurs inspirants. « Il s'agit de valoriser l'image de l'entreprise grâce au livre », retient le libraire.

Lire des fictions de manière à travailler mieux. C'est ce que propose Céline Mas dans La lecture pour réussir sa vie professionnelle. 20 situations clés et listes de lecture (Dunod). Extraits de cas précis.

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