L’exécuteur testamentaire : gardien de l’œuvre littéraire ?

L’exécuteur testamentaire : gardien de l’œuvre littéraire ?

Si sa place reste marginale en droit commun des successions, l’exécuteur testamentaire a un rôle considérable dans le domaine littéraire et artistique. Car c'est à lui qu'échoit la mission de veiller au droit moral de l’auteur après sa mort. Explications.

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Par Alexandre Duval-Stalla
Créé le 24.03.2025 à 15h57

L’exécuteur testamentaire est un acteur-clé du respect de la volonté post-mortem dans les successions d’artistes. Étayée par les dispositions du code de la propriété intellectuelle, sa mission, essentielle aux écrivains, est de garantir la cohérence éditoriale et la protection morale de leur œuvre.

L’exécuteur testamentaire est expressément reconnu par le Code civil (article 1025), mais également par le Code de la propriété intellectuelle (CPI), qui l'érige en successeur privilégié de certains droits extrapatrimoniaux de l’artiste, chargé de veiller à la fidélité de sa mémoire et à l’accomplissement de sa volonté artistique. Cette reconnaissance se manifeste principalement dans la transmission et l’exercice du droit moral de l'auteur. Ce droit moral est distinct des droits patrimoniaux, qui relèvent de l’exploitation économique des œuvres et reviennent aux héritiers selon le droit commun. Notamment composé du droit au respect de l’œuvre, du droit de divulgation, du droit de paternité, ainsi que du droit de retrait et de repentir, il revêt une dimension profondément personnelle. 

Le droit de divulgation : la jurisprudence Utrillo

Parmi ces attributs, le droit de divulgation occupe une place à part. L’article L.121-2 du CPI précise qu'il doit, en priorité, être exercé par l’exécuteur testamentaire, avant de revenir, à défaut, aux descendants, au conjoint, puis aux autres héritiers. Cette dévolution, qualifiée d’« anomale », se justifie par la nature très personnelle de ce droit, dont l’exercice suppose une connaissance intime des intentions de l’auteur. La jurisprudence Utrillo (1ère chambre civile, Cour de cassation, 11 janvier 1989) distingue cependant le droit de divulgation des autres composantes du droit moral, le droit au respect et le droit de paternité demeurant régis par le Code civil. Ainsi, la désignation d’un exécuteur testamentaire dans un testament ne suffit pas, en soi, à lui conférer l’ensemble du droit moral : si l’auteur souhaite également lui transférer le droit au respect et à la paternité de son œuvre, il doit expressément le spécifier.

Quant au droit de retrait et de repentir, il est généralement considéré comme intransmissible en l’absence de disposition spécifique, du fait de son caractère strictement personnel. Toutefois, une partie de la doctrine estime que l’exécuteur peut en assumer l’exercice post-mortem si l’auteur s’est clairement exprimé en ce sens de son vivant, ce qu’illustrent certains cas où des artistes ont exigé la destruction de leurs œuvres après leur mort.

La mission d’une vie

En matière artistique, la durée de la mission de l’exécuteur testamentaire constitue une autre singularité. Alors que l’article 1032 du Code civil limite ordinairement cette mission à deux ans à compter de l’ouverture du testament, l’article L.121-2 du CPI autorise l’exécuteur désigné à exercer le droit de divulgation toute sa vie durant. Ce droit ne se transmet pas à ses héritiers, mais revient ensuite aux enfants de l’auteur.

Cette logique fondée sur la fidélité personnelle rend délicate la projection successorale au décès de l’exécuteur. Pour pallier cette difficulté, la désignation d’une personne morale, telle qu’une fondation ou une société de gestion collective, pourrait être envisagée. Le Code de la propriété intellectuelle l’admet implicitement, contrairement au Code civil, qui reste réticent sur ce point au nom du principe de gratuité de la mission. Toutefois, rien n’interdit de nommer deux exécuteurs testamentaires, l’un chargé de la gestion artistique, l’autre de l’exécution civile du testament.

L’intérêt du public : la jurisprudence Foujita

En matière artistique, la responsabilité de l'exécuteur testamentaire prend une dimension élargie : il doit agir dans le respect de l’intérêt public et de la mémoire de l’auteur. Le tribunal judiciaire peut ainsi ordonner des mesures appropriées en cas d’abus dans l’usage du droit de divulgation. Avec l’affaire relative à l’œuvre du peintre Foujita, la jurisprudence a ainsi reconnu que l’intérêt du public pouvait prévaloir sur les velléités personnelles des ayants droit lorsque celles-ci entravent la diffusion de l’œuvre.

En définitive, si les prérogatives de l’exécuteur testamentaire restent limitées en ce qui concerne les actifs patrimoniaux — le législateur français manifestant une certaine défiance à l’égard de l’intervention de tiers dans la liquidation successorale —, elles prennent une ampleur notable lorsqu’il s’agit de garantir la continuité morale d'une œuvre. Cette fonction est d’autant plus précieuse dans les successions d’artistes, où le respect de la volonté créatrice prime sur les considérations purement patrimoniales. La figure de l’exécuteur testamentaire, longtemps perçue comme décorative dans le droit successoral français, se révèle donc être un levier juridique pertinent pour préserver une mémoire artistique ou sécuriser une collection.

Alexandre Duval-Stalla

Olivier Dion - Alexandre Duval-Stalla

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