Série d'été 2024

[Les nouveaux mooks 2/5] Zone Critique, vivier de millésimes modernes

A côté de Zone Critique, Pierre Poligone enseigne la philosophie et la littérature à des lycéens de Seine-Saint-Denis et à des étudiants de la Sorbonne-Nouvelle. - Photo Zone Critique

[Les nouveaux mooks 2/5] Zone Critique, vivier de millésimes modernes

Toujours plus nombreux en kiosques et librairies, les mooks ont besoin d'affirmer leur différence pour s'installer dans la durée. Les derniers venus l'ont bien compris, qui cultivent tous une ligne éditoriale particulière et tranchée : Livres Hebdo en a sélectionné cinq récemment lancés. Deuxième de notre série, Zone Critique entend « rendre la culture vivante » et faire cohabiter les anciens et les modernes de la création littéraire. La nouvelle formule de sa revue trimestrielle, diffusée depuis février 2024, s'accompagne d'une collection de récits courts et percutants. 

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Par Élodie Carreira
Créé le 16.07.2024 à 11h05

« Un média exigeant qui rend la culture vivante ». C’est ainsi que les deux fondateurs de Zone Critique, Sébastien Reynaud et Pierre Poligone, définissent le mieux la ligne éditoriale d’un projet né en 2012, au sein de l’ancien campus de la Sorbonne-Nouvelle. À l’époque, les deux amis constatent que les magazines culturels de qualité ont tendance à ne s’adresser qu’à des férus de littérature. Mais eux croient « fermement qu’il n’est pas nécessaire d’être expert pour avoir un rapport vivant et approfondi à la culture ».

Aidés de nombreux de passionnés bénévoles, ils décident donc de lancer Zone Critique, sorte de vivier de fiction à jeunes plumes. Douze ans plus tard, le magazine a survécu aux affres du temps. Depuis février dernier, il a même entamé un processus de professionnalisation grâce à une campagne participative réussie. Toujours tourné vers la transmission et la création contemporaine, il revient désormais avec une nouvelle formule, sur le web comme en papier, escortée d’une collection de « récits courts, mais percutants ».

« Rendre compte de la façon dont on peut être traversé par des œuvres »

« Le projet n’a pas changé, raconte Pierre Poligone, Il s’agit toujours de rendre la culture vivante, de l’incarner avec des écrivains, des cinéastes et de rendre compte de la façon dont on peut être traversé par des œuvres ». Pour cela, les deux fondateurs ont repensé l’intégralité de Zone Critique avec une refonte du site Internet, de son application et de la maquette du magazine papier lancé, à l’origine, en 2019. « On a voulu créer un objet global cohérent. Dorénavant, l’enjeu est de bâtir un modèle économique qui amène de nouveaux abonnés. Aujourd’hui, nous en avons 300, mais ça ne suffit pas. Notre seuil de rentabilité se situerait plutôt entre 1000 et 2000 », poursuit le cofondateur qui vise, d’ici à décembre, 500 souscriptions.

Revue Zone Critique
Dans les deux numéros de sa nouvelle formule, Zone Critique a donné la parole à des auteurs comme Simon Liberati, Jean-Jacques Schul ou encore Angèle Merckel.- Photo EC

Côté numérique, l’application propose désormais deux à trois articles par jour, dont une critique et un article pour exhumer une œuvre d’hier ou en présenter une nouvelle. Concernant la revue, dont la parution est trimestrielle, c’est toute l’esthétique qui a été rebâtie. « Dans nos numéros précédents, il y avait surtout des pavés universitaires avec peu d’images. Le format était plus petit, carré, un peu comme un livre. Aujourd’hui, on donne une place importante à l’image que l’on invite à concevoir comme un récit à part », raconte Pierre Poligone, citant le deuxième numéro de la nouvelle formule, paru en juin.

Des revues de littérature et de cinéma

Surfant sur les Jeux olympiques et paralympiques 2024, celui-ci raconte au fil de 229 pages l’obsession du Japonais Yukio Mishima pour le culte du corps, le jeu de ballon d’Albert Camus ou encore la solitude du boxer américain au cinéma. Et entre les différentes rubriques – chroniques, critiques, enquêtes à venir et entretiens qui tâchent de faire cohabiter pointures et nouveaux talents –, se glissent d’imposants portraits. Au milieu, un superbe portfolio de photographies prêtées par le galeriste Jean-Denis Walter, ressuscite, par exemple, celle presque cartoonesque d’un affrontement entre Mohamed Ali et Cleveland Williams, prise par Neil Leifer en 1966.

Contrairement aux 1 000 tirages du numéro précédent sur la fête, seules 800 copies du deuxième magazine sont distribuées dans les kiosques par Pollen et envoyées aux abonnés par la poste. Car si les fondateurs ont fixé le prix de la revue à 20 euros, ces derniers sont encore à la recherche d’un équilibre. « Le premier numéro s’est écoulé à 350 exemplaires pour un coût d’impression à 6 500 euros, donc nos frais ont été couverts, mais la production du deuxième numéro s’est élevée à 8 200 euros », détaille Pierre Poligone.

« Dépoussiérer l’image que les gens peuvent avoir des médias culturels »

Mais malgré la menace créée par l’émergence de nouveaux mooks et la fragilité économique du secteur, Pierre Poligone refuse de voir le milieu comme un simple marché concurrentiel. Considérant les mooks comme « des réservoirs délirants de créations », l’éditeur et son associé ont fait le pari d’une proposition nouvelle. « La direction artistique du projet, la jeunesse et le profil particuliers des rédacteurs, notre ligne éditoriale que nous espérons intense et accessible, nos formats hybrides à fois papier et numérique, ont pour ambition de dépoussiérer l'image que les gens peuvent avoir des médias culturels, mais aussi de servir de caisse de résonance à la nouvelle génération d'écrivains », résume-t-il.

Vrilles collection/Zone Critique
« Ce qui nous sauve de la routine, c’est l’art et l’émotion qu’il procure, c’est ça qu’on retient d’un texte » - Pierre Poligone.- Photo EC

Dans la continuité de la ligne éditoriale, les fondateurs ont également lancé la collection « Vrilles ». Composée de textes courts, une trentaine de pages, celle-ci a pour objectif de faire découvrir la plume acérée d’un jeune auteur contemporain ou celle d’un établi. « Ce sont des titres à lire en vingt minutes, sur un trajet de métro et qui parlent des enjeux de société avec une certaine radicalité. Certains sont presque violents, ils sont volontairement écrits à l’os, sans gras, pour bousculer le lecteur », décrit Pierre Poligone.

Faire découvrir des plumes contemporaines

Des textes presque faits pour agacer, dont Les petites lèvres de Victor Dumiot, Soleil cou coupé de Clémentine Haenel, Boomer de Frédéric Perrot ou encore Dragonne de Joséphine Tassy. Des concours sont d’ailleurs régulièrement annoncés sur les réseaux sociaux du média pour faire découvrir de nouveaux auteurs, promis à une parution au sein de la collection. Si celle-ci est codirigée par Victor Dumiot, auteur révélé en 2023 avec Acide (Bouquins) et Pierre Chardot, éditeur passé par Plon, ses ouvrages sont distribués en librairie par les fondateurs de Zone Critique eux-mêmes.

En parallèle de ces multiples activités éditoriales, les rédacteurs organisent également des événements, depuis la première revue en 2019, pour constituer « une communauté autour de l’amour de la culture » et autour d'auteurs comme Yannick Haenel, François Bégaudeau, William Marrx ou Brigitte Giraud, lauréate du Goncourt 2022.

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