Rentrée littéraire 2019

Les femmes en porte-voix

L'auteure britanique Diana Evans, dans le jardin de la Maison de l'Amérique latine à Paris. Rentrée Editions Globe. - Photo Olivier Dion

Les femmes en porte-voix

Majoritairement féminins, les personnages qui incarnent cette rentrée littéraire portent des problématiques sociétales comme le féminisme, la crise migratoire ou l'écologie.

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Par Isabel Contreras,
Créé le 04.07.2019 à 15h08

Sous l'emprise du réel, les romans de cette rentrée littéraire proposent des personnages chahutés par des problématiques contemporaines. Se sont majoritairement des femmes qui font écho à des sujets de société, notamment le féminisme. Des écrivains, hommes et femmes, proposent des exofictions autour de l'écrivaine Virginia Woolf dans Virginia d'Emmanuelle Favier (Albin Michel), de Frida Kahlo dans Rien n'est noir de Claire Berest (Stock) ou de Christine de Pizan dans La non pareille de Michel Peyramaure (Calmann-Lévy). Isabelle Duquesnoy présente Constanze Mozart (La redoutable veuve Mozart, La Martinière), une femme d'affaires redoutable, loin de l'image de l'écervelée, qui a -survécu cinquante et un ans à son mari et construit l'empire du compositeur. D'autres femmes, inconnues, ont connu des destinées moins glorieuses. Eugénie, Louise et Geneviève, les protagonistes du Bal des folles de Victoria Mas (Albin Michel) ont été internées à la Salpêtrière, au XIXe siècle, car elles étaient à contre-courant. Le parcours des Echappées de Lucie Taïeb aux éditions de l'Ogre mène aussi vers l'émancipation. Isabelle Flaten propose une mise en abyme dans Adelphe (Le Nouvel Attila), avec un groupe de femmes qui se rebelle dans une paisible bourgade, inspiré par le caractère pugnace de -Madeleine Clarandeau, personnage du roman Nêne d'Ernest Pérochon, prix Goncourt 1920.

Karina Hocine, secrétaire générale éditeur, et Karine Tuil chez Gallimard.- Photo OLIVIER DION

Urgence de vivre

Le courage des femmes d'aujourd'hui est incarné par Jeanne, libraire pudique et discrète qui, atteinte d'un cancer, respire la liberté et l'urgence de vivre dans Une joie féroce de Sorj Chalandon (Grasset). Ou Kate, jeune femme de 19 ans qui trouve la force de continuer à vivre après le décès de son compagnon dans un attentat (Attendre un fantôme de Stéphanie Kalfon, Joëlle Losfeld). L'instinct de survie est une constante chez une femme tatouée, magnifique et froide, dénommée Phénix. La protagoniste du livre de Nathacha Appanah (Le ciel par-dessus le toit, Gallimard) a dû se battre, livrée depuis son plus jeune âge par ses parents à la convoitise des hommes. La romancière Emma Becker s'est immergé pendant deux ans et demi dans le quotidien des prostituées d'une maison close berlinoise (La Maison, Flammarion). La narratrice des Femmes sont occupées de Samira El Ayachi (L'Aube) est, elle, une mère célibataire, confrontée au sexisme ambiant, qui se débat pour donner le meilleur d'elle-même. De son côté, Cora s'approche inexorablement du burn-out, étouffée par sa vie professionnelle, depuis qu'elle est revenue de son congé maternité (Cora dans la spirale de Vincent Message, Seuil). Pour Blanche et sa grand-mère Emilienne (Une bête au paradis de Cécile Coulon, L'Iconoclaste), le courage n'est plus un sujet, elles qui ont renoncé à leur vie pour cette terre qu'elles se transmettent de mère en fille. Cette ténacité est aussi observée dans le dernier roman de Mireille Pluchard (Le rêve de Toinet, Presses de la Cité) où Jaquette se bat pendant cinq ans pour récupérer la ferme dont on l'a spoliée à la suite de la mort de son mari. De l'endurance aussi pour l'héroïne de Baïkonour (L'Observatoire), d'Odile d'Oultremont, qui rend visite à un grutier dans le coma.

L'auteure Blandine Rinkel au théâtre de l'Alliance française à Paris. Rentrée littéraire Fayard.- Photo OLIVIER DION

Violences

Le viol et le harcèlement sont également au cœur de plusieurs fictions. Dans Les yeux rouges (Seuil), Myriam Leroy met en scène une trentenaire harcelée par un inconnu sur Facebook. Karine Tuil met en marche la machine médiatico-judiciaire dans Les choses humaines (Gallimard) à propos d'une affaire de viol présumé. Dans le premier roman de Joffrine Donnadieu, Une histoire de France (Gallimard), le viol est tabou car commis par une femme, France, sur une fillette, Romy. Les rapports sont aussi violents entre Huma et sa grand-mère acariâtre dans On ne peut pas tenir la mer entre ses mains de Laure Limongi (Grasset). Dans le sillage de #Metoo, Mathieu Deslandes et Zineb Drief signent à quatre mains Soir de fête chez Grasset, une enquête romancée sur le grand-père de l'un des auteurs, né en 1923 d'un rapport non consenti qui eut lieu lors d'un bal annuel. Mazarine Pingeot se penche dans Se taire (Julliard) sur le drame d'une femme, victime d'une agression sexuelle et contrainte au silence par son éducation et son milieu.

Exils

La violence de l'arrachement, notamment par l'exil, demeure une thématique qui traverse de nombreux romans de l'automne. Dans La mer à l'envers de Marie Darrieussecq (P.O.L), Rose fait la connaissance fortuite de Younès, un migrant qui tente de traverser la Méditerranée dans une embarcation de fortune. Sur d'autres paquebots, au début du XXe siècle, Jeanne Benameur explore dans Ceux qui partent (Actes Sud) les destins croisés de personnages qui sont arrivés aux Etats-Unis.

Louis-Philippe Dalembert met en scène la tragédie d'un bateau de clandestins sauvés par le pétrolier danois Torm Lotte en 2014 (Mur Méditerrannée, Sabine Wespieser). La douleur de l'exil est également palpable dans Le guetto intérieur de l'écrivain argentin Santiago H. Amigorena (P.O.L) et dans Histoire d'Adrian Silencio d'Eleonore Pourriat (JC Lattès). Avec Par les soirs bleus d'été (Albin Michel), Franck Pavloff accompagne un jeune ukrainien du Donbass dans son enquête familiale. Olivier Dorchamps fait, lui, une plongée dans les racines marocaines de Marwan dans Ceux que je suis (Finitude). Dans une dystopie digne de Game of thrones (Rouge impératrice, Grasset), Léonora Miano explore, elle, une Afrique imaginaire au XXIIe siècle. Sur Katopia, des descendants de migrants français, les fulasi, représentent une minorité marginale mais dérangeante. Dérangeant aussi le groupe de réfugiés syriens qui s'installe dans un petit village du centre de la France où cohabitent déjà agriculteurs et « néoruraux ». Dans La campagne n'est pas un jardin, signé Stéphane Fière (Phébus), les uns appellent à la solidarité alors que les autres crient à la colonisation de leur territoire.

Ruralité

D'autres « néoruraux », cette fois-ci des banlieusards parisiens, apparaissent sous la plume ironique de Julia Deck.Dans Propriété privée (Minuit), un couple achète un logement dans un écoquartier au milieu d'une petite commune. Si tout s'annonce pour le mieux, l'arrivée des Lecoq vient perturber cet univers de compost et de panneaux solaires. Une prise de conscience écologique qui est aussi présente dans La grande escapade de Jean-Philippe Blondel (Buchet-Chastel) ou dans Chimère d'Emmanuelle Pireyre (L'Olivier). Lauréate du Médicis en 2012, l'écrivaine met en scène une journaliste qui part à Newcastle pour alimenter sa tribune sur les OGM pour un quotidien national. Pendant ce temps, François, un chirurgien orthopédiste lyonnais quinquagénaire, hésite. Dans La tentation de Luc Lang, ce chasseur blesse un cerf à la cuisse mais au lieu de l'achever, il se ravise, l'endort et l'emmène dans son pick-up pour le soigner. Ses deux enfants le rejoignent pour ce qui se transformera en thriller familial.

Dans Les grands cerfs de Claudie Hunzinger, l'intrigue se déroule aussi dans la montagne, autour d'une femme, Pamina, et de son compagnon, Nils. Un cadre tout aussi minéral se révèle dans le deuxième roman de Jean-Baptiste Andrea, Cent millions d'années et un jour (L'Iconoclaste). Ici des paléontologues partent à la recherche d'une espèce disparue dans la glace. Autre expédition glaciaire, celle d'Hélène Gaudy dans Un monde sans rivage (Actes Sud), mais aussi celle de Bérengère Cournut avec De pierre et d'os (Le Tripode). Le chemin parcouru par Uqsuralik, une jeune femme inuite, séparée de sa famille par une fracture de la banquise, se transforme en une quête de sens. Des narratrices explorent leur identité dans cette quête. Blandine Rinkel s'inscrit dans la veine du roman générationnel, qui a valu à Nicolas Mathieu le Goncourt 2019 pour Leurs enfants après eux (Actes Sud). Dans Le nom secret des choses (Fayard), une jeune provinciale débarque à Paris et subit le poids culturel de la ville. De son côté, Lola Nicolle relate, à travers une histoire d'amour, l'arrivée d'une jeune fille à la vie professionnelle Après la fête (Les Escales).

Le cheminement d'Alice dansFeel gooddeThomas Gunzig(Au Diable vauvert) est plus radical : vendeuse de chaussures, angoissée par la précarité de son existence, elle décide d'enlever un enfant de riche pour exiger une rançon. Sa véritable identité, Rosemary Brown, personnage qui a inspiréEric Fayepour écrireLa télégraphiste de Chopin(Seuil), préfère la dissimuler. Elle prétend en 1995 « recevoir » chez elle la visite d'un illustre compositeur qui lui dicte ses partitions. Un subterfuge pour échapper à la réalité par la fiction.I. C. 

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