C’est un cancre devenu docteur ès lettres (avec une thèse sur l’œuvre d’Annie Ernaux), un fils de prolo devenu universitaire, un « non-lecteur » devenu écrivain, salué comme l’un des maîtres de l’autofiction à la française. Comme Édouard Louis, par exemple. Une sorte de miracle, qu’il dit devoir entièrement à l’irruption dans sa vie, à l’adolescence, de la littérature. « La littérature, confie Philippe Vilain, est l’instrument de mon salut intellectuel, culturel, social ».
Jusque-là, le garçon, né en 1969, passait son temps à regarder des matchs de foot, se rêvant en footballeur professionnel. Orienté en bac pro, il a plutôt failli devenir employé de bureau ! Dans sa famille, « il n’y avait pas de livres ». La lecture, même, « (l’) intimidait », le renvoyant à un « sentiment de nullité ». Et puis il découvre Marguerite Duras : Moderato Cantabile, Les petits chevaux de Tarquinia, Le marin de Gibraltar… Cette « poétique de la mémoire et de l’amour », le touche. « L’écriture de Duras m’envoûtait littéralement, se souvient-il, ou, plus exactement, me ravissait ». Alors, métamorphose : lectures boulimiques et rattrapage dans les études, jusqu’à l’excellence.
Lire aussi : Philippe Vilain, Mauvais élève (Robert Laffont)
Une autre rencontre littéraire changera sa vie, celle avec Annie Ernaux, en 1993. Là, il passe de l’autre côté du miroir, en quelque sorte. S’ensuit une relation complexe, qui libère en lui l’écrivain. L’étreinte, son premier livre, publié en 1997 chez Gallimard, l’éditeur de la future prix Nobel de littérature, met leur histoire en fiction, et déclenche un beau scandale. « Annie Ernaux a été une chance dans ma vie de malchanceux, reconnaît-il. Ma fée sociale en quelque sorte, ma préceptrice, comme on disait au XVIIIe siècle ». Elle le dégrossit, le fait voyager, l’introduit dans le monde littéraire. « Mais si son soutien m’a permis de publier mon premier roman, ce n’est pas grâce à elle que je suis devenu écrivain, car j’écrivais déjà avec obstination avant de la connaître et je le serais devenu de toutes les façons tant j’étais déterminé et travaillais assidûment pour cela ». Ça s’appelle la vocation, et c’est irrépressible.
Aujourd’hui encore, lorsqu’il lui arrive d’intervenir dans des collèges ou des lycées, auprès d’élèves en difficulté, Philippe Vilain « ne manque pas de (s’) identifier à eux, et (...) pense les comprendre ». « Ceux-là, il faut aller les chercher », conclut-il, en leur proposant par exemple des textes qui leur parlent « sur des sujets actuels, comme le racisme ou la ségrégation ». Ou peut-être, tout simplement, qui font rêver ces jeunes, comme Duras faisait rêver le jeune Philippe Vilain, n’osant pas s’imaginer écrivain. Mais ça, c’était avant.