Francfort

Les éditeurs de la francophonie interrogent leur avenir

Sabine Wespieser au micro : "Je ne vais pas vraiment défendre l'édition française" - Photo Photo Olivier Dion

Les éditeurs de la francophonie interrogent leur avenir

Organisée à l'initiative du Bief, du CNL et de l'OIF, une table ronde réunissait  jeudi 12 octobre plusieurs éditeurs français, africains ou haïtiens qui ont débattu de l'avenir du marché du livre francophone.

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Par Pauline Leduc, Francfort
Créé le 13.10.2017 à 01h05

Profitant de la présence de 20 éditeurs d'Afrique et d'Haïti à la foire de Francfort, réunis pour la première fois sur un même pavillon avec leur soutien, le Bureau international de l'édition française (Bief) proposait jeudi 12 octobre, en partenariat avec le Centre national du livre (CNL) et l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), une table ronde portant sur les évolutions actuelles du marché de l'édition francophone.

L'occasion pour Véra Michalski, la présidente du Bief, de rappeler en ouverture de la conférence que "ce n'est pas seulement la France qui est à l'honneur à la foire de Francfort mais aussi la francophonie dans son ensemble". Modérées par Fabrice Piault, rédacteur en chef de Livres Hebdo, les discussions se sont articulées autour de trois tables rondes thématiques : "La création et la production éditoriale dans le monde francophone", "Quels échanges, quels partenariats éditoriaux", et "L'organisation et la circulation des livres dans la francophonie".

Des modes de commercialisation inadaptés

Trois enjeux forts ont émergé de ces débats. Après avoir pointé la difficulté d'exister en tant que maison de création dans des pays où les auteurs ne les connaissent pas forcément et se tournent donc vers les éditeurs français, les participants ont regretté que les acteurs de l'édition française continuent de pratiquer des Modes de commercialisation inadaptées à l'économie de leurs pays.

"Chanson douce de Leila Slimani s'est écoulé à seulement 7000 exemplaires au Maroc parce que son prix actuel est de 22 euros ; c'est absolument exorbitant quand on sait que les ouvrages la-bas ne dépassent en général pas 10 euros", a pointé Layla Chaouni, des éditons Le Fennec (Casablanca). Une position partagée par Corinne Fleury, de l'Atelier des nomades (Île Maurice), qui cite elle l'exemple du dernier Natacha Appanah dont elle n'a pas réussi à acquérir les droits et qui est "commercialisé à 20 euros chez nous, soit 10% du salaire moyen d'un habitant". "Il faut que les éditeurs français comprennent que ce n'est pas perdre un marché que de céder ses droits à des petits pays qui en vendront beaucoup plus d'exemplaires mais bien moins chers ", a-t-elle insisté, approuvée par le public.

Des rapports déséquilibrés

Malgré quelques exceptions évoquées dans la salle, la difficulté d'accéder aux titres publiés en France se double d'un constat assez sévère : les rapports entre les éditeurs de la francophonie et leurs homologues français ne sont pas équitables. "Si vous regardez bien, trouvez-vous beaucoup de livres venus de l'Afrique francophone et dont les droits ont été achetés par nos partenaires français ?", a ainsi interrogé Béatrice Gbado, de la maison Ruisseaux d'Afrique (Cotonou).

"Nous partageons tous une langue mais sommes nous prêts à nous considérer mutuellement comme des collègues, égaux, qui vont vers un même objectif ; la diffusion des auteurs et des textes ?", a-elle enchaîné avant de pointer, un "problème clé", selon elle, celui de la "posture" de l'édition française, "jugée parfois arrogante" face à l'édition francophone. Sentiment renforcé par ce que René Yedieti, P-DG de La librairie de France (Abidjan), définit comme "un attentat culturel" ; l'arrivée, dans plusieurs pays d'Afrique, de containers remplis de livres et offerts "par les pays du Nord". Si Simon de Jocas, des éditions Les 400 coups (Montréal), nuance la portée négative de "ce don de livre", il n'en estime pas moins qu'il y a là une "posture paternaliste".

Créer des liens entre éditeurs

Un constat partagé par Sabine Wespieser qui prévient d'emblée, "Je ne vais pas vraiment défendre l'édition française", sourit-elle avant de souligner qu'on demande encore souvent à l'auteur haïtien Louis-Philippe d'Alembert, qu'elle édite, pourquoi il écrit en français. "Et il  répond invariablement que c'est parce que Haiti a été colonisée par la France !" . L'éditrice se réjouit cependant que les choses avancent, "notre simple présence ici, à ce débat, le prouve".

Les participants sont tombés d'accord sur la nécessité de discussions accrues entre tous les éditeurs afin de mieux comprendre les besoins et les attentes de chacun, même si cela fait de très nombreuses années qu'ils tentent de le faire.  

Comme l'a soulevé Thierry Magnier, président du groupe jeunesse du SNE, "les sujets abordés dans certains titres que nous publions en France pourraient poser problème dans plusieurs pays pour des raisons religieuses, culturelles et on ne veut pas aseptiser le ton de nos livres ". L'éditeur a parallèlement précisé qu'il était "ouvert aux discussions et coéditions".

Simon de Jocasse a malicieusement proposé "de laisser les géants de l'édition œuvrer au-dessus de nous pour travailler ensemble, sous leurs jambes, entre éditeurs francophones" Pour autant, a-t-il précisé, "ce n'est pas parce que nous parlons tous la même langue, que nous avons les mêmes besoins, attentes, il y a de multiples francophonies autour desquelles nous devons discuter".   
 

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