Jeunesse

Les 50 ans de Petit Ours Brun, « héros des émotions »

Marie Aubinais, scénariste de "Petit Ours Brun" et Gwenaëlle Boulet, rédactrice en chef du magazine "Pomme d'Api" - Photo Philippe Noisette/Slimane Lalami

Les 50 ans de Petit Ours Brun, « héros des émotions »

Cinquante ans après sa création dans les pages du magazine Pomme d’Api, Petit Ours Brun continue de séduire les tout-petits comme leurs aînés. Véritable icône de la littérature jeunesse, ce héros, dont les albums se vendent à 800 000 exemplaires chaque année, continue d'élargir son univers sans jamais perdre l’essentiel : rester à hauteur d’enfant. Rencontre avec Marie Aubinais, qui pilote les histoires depuis les années 1980, et Gwenaëlle Boulet, rédactrice en chef de Pomme d’Api.

Par Elodie Carreira
Créé le 15.10.2025 à 15h20

Livres Hebdo : Quelle est la genèse de Petit Ours Brun, né dans les pages du magazine Pomme d’Api ?

Marie Aubinais : Le premier épisode de Petit Ours Brun a vu le jour en 1975. Cette année-là, la rédaction avait lancé un concept de mini-livre, c’est-à-dire que dans chaque numéro du journal, une page à découper et à plier permettait de créer un petit livre. Petit Ours Brun y incarnait un enfant de trois ans vivant ses premières petites victoires comme arrêter de faire pipi dans sa couche et apprendre à utiliser un pot, ou arrêter de sucer son pouce. Cette idée a immédiatement beaucoup plu aux lecteurs. À cette époque, la rédaction cherchait à créer un personnage emblématique pour les tout-petits de trois ans. Et cinquante plus tard, Petit Ours Brun est toujours là pour les accompagner.

« Notre objectif est d’être au plus près des émotions des enfants »

En effet, Petit Ours Brun continue de séduire de nouvelles générations d’enfants. Comment expliquez-vous un tel succès ?

M.A : Je crois que ce qui a touché le public, c’est la manière dont Petit Ours Brun aborde les émotions des tout-petits : leurs joies, leurs découvertes, leurs expériences quotidiennes à travers des situations simples, mais qui ont beaucoup d’importance à leurs yeux. Chaque épisode et chaque album cherche à restituer cette authenticité de l’enfance, afin que les jeunes lecteurs puissent facilement s’y reconnaître. Notre objectif est d’être au plus près de leurs émotions, d’adopter un regard « à hauteur d’enfant », plutôt que de poser un regard sur eux. Petit Ours Brun vit aussi des contrariétés, des chagrins, des petites colères. Il perd son doudou dans la rivière, voit ses parents se disputer, est parfois mis à l’écart par ses copains. Cependant, nous faisons toujours en sorte qu’en sept lignes et quarante-cinq signes par ligne, chaque histoire se termine bien. Ce n’est pas de la niaiserie, c’est une célébration du bon côté de la vie, renforcée par le dessin de Danièle Bour qui, avec son style épuré, ses lignes sobres, et l’intensité des couleurs, exprime beaucoup avec très peu. D’ailleurs, dans chaque famille, il existe un épisode « culte », qui tombe juste au bon moment et résonne avec ce que l’enfant vit. La force de Petit Ours Brun réside dans cette simplicité intemporelle.

Petit Ours Brun
Si Petit Ours Brun a évolué graphiquement au fil du temps, il conserve les mêmes traits qui l'ont rendu identifiable pour de nombreuses générations.- Photo BAYARD JEUNESSE

Gwenaëlle Boulet : J’ajouterais le mot « justesse ». Nos histoires sont des histoires bonnes en bouche, c’est-à-dire très courtes, avec un rapport texte-image impeccable. Comme d’autres contenus Pomme d’Api, le langage ne se limite pas à décrire le réel, il porte une poésie, et offre des choses gratuites qui ravissent l’oreille. Peu de héros pour enfants ont été aussi pérennes, surtout dans un secteur éditorial aussi dynamique. Petit Ours Brun, lui, a traversé toute une génération de parents. Il a ce côté madeleine de Proust hyper rassurant, et offre une continuité, dans les émotions, entre enfants et adultes. Son intemporalité tient aussi au caractère archétypal de son décor avec sa maison, son bout de jardin. Et puis, Petit Ours Brun n’est pas un enfant, c’est un animal. Ce choix du prisme animalier, typique de la petite enfance, permet à la fois l’identification et une certaine distance émotionnelle.

Marie Aubinais, historiquement, vous avez pris les rênes du scénario en 1984, à la suite de la créatrice de la série, Claude Lebrun. Pouvez-vous revenir sur cette passation ? Comment avez-vous réussi à tracer votre voie sans compromettre l’identité du personnage ?

M.A : Je ne peux pas vraiment dire que j’ai pris directement la relève de Claude Lebrun. Après qu’elle a écrit les premiers scénarios, c’est la rédaction qui a repris le flambeau, avec quatre rédactrices qui se relayaient pour donner vie aux histoires. Je suis arrivée à ce moment-là, pour remplacer l’une d’elles partie en congé maternité. J’ai donc appris sur le tas, en écrivant mes premiers textes, en les retravaillant avec les conseils de la rédaction jusqu’à l’imprégner de la ligne éditoriale et du style de la série. À cette époque, la rédaction développait plusieurs personnages, chacun incarnant un aspect particulier : un héros de la vie sociale, un autre de la sensorialité, un de la poésie, un des calembours. Petit Ours Brun, lui, s’est imposé comme le héros des émotions.

« La cohérence de tout cet écosystème tient en grande partie au travail de Marie »

Après plus de 40 ans de scénarios, où continuez-vous à puiser l’inspiration ?

M.A : Il y a une infinité de sujets ! Bien-sûr, il nous arrive d’en revisiter certains, mais toujours sous un angle différent. La thématique de Noël en est une belle illustration : on peut raconter Petit Ours Brun qui attend les invités, les cadeaux, qui décore la maison ou le sapin. Chaque fois, le point de vue change, et cela suffit à renouveler l’histoire. La diversité actuelle des supports et des formats renforce encore cette possibilité. Hier, les enfants écoutaient les aventures de Petit Ours Brun sur des radiocassettes, aujourd’hui, ils les découvrent sur de petites enceintes. Nous continuons à explorer ces instants tenus, ces petits moments du quotidien si courts qu’ils sont innombrables.

G.B : C’est sans doute le piège de la presse et de ses fameux marronniers. Mais je crois qu’il ne faut pas avoir peur de la répétition. Les adultes ont souvent l’impression de revivre les mêmes situations des dizaines de fois, alors que pour un enfant de trois, quatre ou cinq ans, chaque expérience, un Noël, un anniversaire, une rentrée, est encore presque une première fois. Pour eux, tout reste très nouveau.

POB
"Petit Ours Brun, lui, a traversé toute une génération de parents" - Gwenaëlle Boulet.- Photo BAYARD JEUNESSE

Petit Ours Brun est aujourd’hui une licence identifiable, avec des albums, des hors-séries, une série animée, un spectacle et de nombreux produits dérivés. Avec une telle diversification, comment préserver la cohérence du projet ?

G.B : Je crois que la cohérence de tout cet écosystème tient en grande partie au travail de Marie, qui est un peu sur tous les projets. Du côté de l’animation, par exemple, qui a ses propres codes, l’écriture se fait souvent en duo. À l’occasion des 50 ans, nous avons réuni un large comité réunissant toutes les personnes qui travaillent ou ont travaillé, d’une façon ou d’une autre, sur Petit Ours Brun. Cela nous a permis de mettre nos idées en commun, de recentrer nos réflexions autour de quelques thématiques fortes. Nous ne collaborons pas au quotidien, donc il y a parfois des surprises, mais disons que l’univers de Petit Ours Brun est solidement conceptualisé depuis longtemps.

« Petit Ours Brun a toujours été un personnage assez libre, émancipé des normes de la société »

La société a également beaucoup changé depuis les années 1970. Comment ces bouleversements se reflètent-ils dans les histoires ?

G.B : On nous a souvent dit que Petit Ours Brun était un peu ringard. Avec le temps, nous avons évidemment fait évoluer son apparence et modernisé certains aspects du dessin : cela fait longtemps, par exemple, que Maman Ours ne porte plus de tablier. Cependant, notre objectif n’a jamais été de rendre la série ultra-moderne, mais plutôt d’être dans une justesse du propos, des sensations et des sentiments de l’enfant. En nous replongeant dans des anciens épisodes, nous avons effectivement constaté des changements et en même temps, depuis ses débuts, Petit Ours Brun joue à la dînette, avec des poupées. Cela n’avait jamais posé question à l’époque, tandis qu’aujourd’hui, c’est peut-être perçu comme quelque chose de presque militant. Autre élément essentiel : Petit Ours Brun est brun. Autrement dit, tout le monde peut se projeter en lui. Les enfants blancs n’y prêtent aucune espèce d’attention, tandis que les enfants de couleur y trouvent un héros dans lequel se projeter. C’est sans doute l’une des raisons de son succès dans des milieux très divers.

M.A : Je crois que le succès de Petit Ours Brun tient aussi à une forme de force tranquille. Hier encore, je me replongeais dans un album de 1976 dans lequel Petit Ours Brun se fait beau. Il met un manteau, très long, des colliers, du parfum, un chapeau, des chaussures à talons. Quelque part, il s’habille un peu comme Maman Ours. Et pourtant, la question du genre n’est jamais posée. À l’époque, c’était abordé sans tambours ni trompettes. Cela n’a jamais été revendiqué haut et fort, mais Petit Ours Brun a finalement toujours été un personnage assez libre, émancipé des normes de la société.

Petit Ours Brun projet multilinguisme
Pour lutter contre les discriminations et favoriser l'égalité des chances, Bayard Jeunesse et Pomme d'Api ont décliné trois albums en audio, accessibles en 10 langues.- Photo BAYARD JEUNESSE

Comment Petit Ours Brun va-t-il évoluer à l’occasion de son cinquantième anniversaire et au-delà ?

G.B : Pour célébrer les 50 ans de Petit Ours Brun, de nombreux événements et surprises ont été organisés, mais j’aimerais beaucoup mettre l’accent sur un événement particulier : pendant 15 jours, aux vacances d’automne, une immersion dans un petit parc à thème à la fois ludique et éducatif se tiendra chez Palomano. Nous avons également mené un projet audio autour du multilinguisme, en collaboration avec l’association Dulala. En France, un enfant sur quatre parle ou entend parler une langue autre que le français. C’est pourquoi nous avons réalisé un important travail audio pour traduire trois albums dans les dix langues les plus parlées en France, parmi lesquelles le wolof, l’arabe ou encore le mandarin. Ce projet, qui a été présenté lors du congrès annuel de l’AGEEM (Association générale des enseignants de l’école maternelle) le 3 juillet dernier, a reçu un accueil très positif. Nous avons donc décidé de continuer à nous investir dans ce projet assez militant, pour rendre Petit Ours Brun accessible à tous les enfants.

M.A : C’était une expérience formidable ! Pour la première fois, j’écrivais un épisode dans lequel Petit Ours Brun rencontre une petite oursonne turque. Bien qu’ils ne parlent pas la même langue, ils parviennent à trouver des moyens de communiquer et à se comprendre parfaitement. L’histoire a d’abord été publiée dans Pomme d’Api, puis en grand format, avec un QR code permettant d’écouter le récit dans dix langues, interprété par des comédiens qui en maîtrisent très bien la tonalité !

« Petit Ours Brun » en quelques chiffres

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