Annie Ernaux dit que parler de ses livres est un exercice qui lui est difficile, surtout s’il s’agit de "les rendre avenants". Elle dit encore dans Le vrai lieu, des entretiens qui paraissent chez Gallimard : "Ce n’est pas intéressant de chercher d’où vient l’écriture, je ne crois pas. Ce qui est intéressant, c’est ce que l’on écrit. C’est devant soi, l’écriture, toujours devant soi."
L’écrivaine avait néanmoins déjà consenti à s’engager dans un travail réflexif sur sa pratique dans L’écriture comme un couteau, livre issu d’un échange par mails avec Frédéric-Yves Jeannet, paru chez Stock en 2003 - et réédité en 2011 chez Folio avec une postface inédite. Elle a accepté, en 2013, de reconduire l’expérience devant la caméra de la réalisatrice Michelle Porte, dans le cadre d’un documentaire diffusé sur France 3. A dix ans de distance, ces entretiens, avec pour fil rouge les lieux de l’écriture, reprennent ainsi certains thèmes déjà explorés mais, entre-temps, plusieurs livres marquants ont été écrits, dont le monumental Les années, projet auquel l’écrivaine s’est littéralement confrontée pendant vingt ans. Elle revient donc pour la première fois sur ce texte "qui n’est fait, dit-elle à son interlocutrice, que de souvenirs de sensations". Répétant aussi, en affinant sa position, à quel point écrire ne consiste pas pour elle à s’intéresser à sa propre vie.
Le dispositif choisi par la documentariste - questionner Annie Ernaux sur son lieu de travail dans la maison de Cergy-Pontoise où elle vit depuis trente-sept ans -, qui a paru au début à l’écrivaine "d’une violence inexplicable", rend plus spontanées peut-être mais non moins profondes les réponses. Elle trouve ainsi de nouvelles formulations, de nouvelles images. Claires et directes. "Ecrire, je le vois comme sortir des pierres du fond d’une rivière", ou "Ecrire, c’est créer du temps"… On est une nouvelle fois frappé par la franchise et la disponibilité de la romancière (voir aussi l’entretien qu’elle nous avait accordé pour le numéro 1000 de Livres Hebdo en mai dernier).
Annie Ernaux : le temps et la mémoire (1) peut se lire comme un complément savant de ces entretiens, ces actes du colloque de Cerisy retranscrivant les interventions de chercheurs qui, une semaine durant en juillet 2012, ont fouillé au plus près des motifs et des ressorts de l’œuvre. "Avec la complicité et la participation d’Annie Ernaux." A n’en pas douter. V. R.
(1) Annie Ernaux : le temps et la mémoire, sous la direction de Francine Best, Bruno Blanckeman et Francine Dugast-Portes. Stock, sortie le 23.9.2014. ISBN : 978-2-234-07821-5 (600 p., 23 euros).