Premier Roman/France 4 avril Alexis Potschke

Qu'elle invente ou qu'elle relate, la littérature, la vraie, dit toujours vrai. Qu'elle se veuille pure fiction ou récit de vie, elle clame la vérité. Les romans dépeignent la réalité des choses, les Mémoires révèlent la topographie des âmes, et inversement. Ainsi de Saint-Simon qui désirait au-delà de la chronique mondaine témoigner de la cour, faire le portrait sans fard des femmes et des hommes du siècle de Louis XIV. Dans Rappeler les enfants, Alexis Potschke se fait aussi portraitiste de cour, mais pas celle qu'abritent les ors du pouvoir, il s'agit ici de cour d'école. Ce jeune professeur de français qui enseigne dans un collège en banlieue nord de Paris, et dont c'est le premier roman, raconte son expérience en milieu scolaire. En classe et hors les murs : on ne cesse pas d'être enseignant une fois que l'école est finie. Non pas qu'on prolongerait sa leçon à travers un nouvel auditoire de substitution mais parce qu'en repensant à sa journée ou en lisant ses copies, on se dit qu'enseigner c'est bien apprendre dans sa double acception : indiquer à l'élève la voie, lui inculquer un savoir ; recevoir de l'élève ses questions voire ses réticences comme matière à ses propres réflexions.

Alexis Potschke portraiture les collégiens au moyen d'une palette truculente. S'incarnent au fil des pages les bons, les cancres, les pipelettes, les muets. Marwan, Gulsum, Majda, Ha Long et Salomé... on assiste aux échanges entre ces êtres en devenir, entre deux âges, l'enfance et l'âge adulte, comme si on y était. Et l'on est avec l'auteur à la plume incisive, dont il a néanmoins trempé la pointe dans le miel d'une bienveillante complicité, tour à tour ému de leur candeur, déstabilisé par leur franchise, confondu par leur confusion. Lors des attentats, des questions fusent, qui demeurent sans réponse. Untel pense que islamiste et musulman, c'est la même chose, telle autre demande si les juifs existent encore... Il y a des communautés mais pas forcément du communautarisme, on a su accueillir cette fille venue d'Italie qui ne parlait pas un mot de français.

Les rapports du prof avec sa classe, ou entre collègues, sont décrits avec une précision vérace : les rentrées, quand on a une boule au ventre devant un jeune public pas aisément acquis ; les trajets en train de banlieue, où on corrige, gobelet de café à la main et copies sur les genoux. Mais si la condition de l'enseignant est la toile de fond, elle n'est en vérité pas le sujet. Contrairement à François Bégaudeau dans Entre les murs, le narrateur de Rappeler les enfants n'entend pas pointer une certaine « bancalitude » dans le système, dénoncer l'inadéquation entre ce qu'on doit enseigner et des élèves inaptes à accueillir une pédagogie inadaptée. A ce narrateur, sa condition ? Peu lui chaut. Il ne se soucie que de la relation avec les élèves - le dialogue -, de sa mission de transmettre. Et la réussite de ce livre tient au fait qu'il est écrit à hauteur d'enfant, sans cynisme aucun. A l'aune de l'enfance de l'auteur - ce temps suspendu dans le Loir-et-Cher -, de ces 14 ans qu'on aurait voulus éternels, où tout était encore possible. Revisiter ce temps-là, c'est se répéter sans cesse qu'on a encore tant à apprendre.

Alexis Potschke
Rappeler les enfants
Seuil
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 19 euros ; 320 P.
ISBN: 9782021420081

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