A chaque difficulté sociale, à chaque questionnement parfois légitime, le pouvoir réagit par une restriction de la liberté d’expression, plutôt qu’en acceptant la parole et le débat.
En 2018, la loi sur les Fake News et celle instaurant un secret des affaires - qui visait en réalité à faire taire tant les lanceurs d’alerte que les journalistes - ont montré que le régime actuel ne dérogeait à cette manie liberticide.
C’est, cette fois, au tour des enseignants d’être visés par un renforcement d’un supposé « devoir de réserve ».
Certes, le secret est la garantie principale de certains exercices professionnels : le médecin, l’avocat, le juge d’instruction ne peuvent souvent pas s’exprimer sans violer des principes.
Quant aux diplomates et aux militaires, ils sont, à coup sûr, liés par un devoir de réserve.
Mais au-delà de ces cas précis, seule la jurisprudence administrative a osé dessiner une « obligation de réserve » à laquelle seraient tenus les fonctionnaires, qui s’étend des candidats à la fonction publique jusqu’aux agents eux-mêmes. Las, une telle obligation se concilie difficilement avec le statut général des fonctionnaires, qui garantit expressément leur liberté d’opinion…
Devoir de réserve et neutralité
Aujourd’hui, les droits et obligations des fonctionnaires sont prévus par la Loi du 13 juillet 1983, laquelle n’évoque nullement l’existence d’un éventuel devoir de réserve.
Anicet le Pors, ministre de la Fonction Publique lors de la promulgation de la Loi en 1983, expliquait avoir d’ailleurs sciemment écarté toute mention d’un devoir de réserve.
Ce texte indique déjà que le fonctionnaire est tenu au secret professionnel et que s’impose à lui une obligation de discrétion pour les faits ou documents dont il a connaissance dans l’exercice de ses fonctions. Depuis 2016, le fonctionnaire est également soumis à une obligation de neutralité et de respect de la laïcité.
Or, en décembre 2018, une professeure de Dijon a été convoquée par son rectorat, après avoir critiqué Emmanuel Macron sur un site internet. L’affaire s’est soldée par « un rappel au devoir de réserve » dans l’expression de ses opinions personnelles.
Plus qu’anecdotique, cette mésaventure est représentative de la politique fébrile menée par l’État à l’égard de ceux qui le portent.
Lien de confiance
Et de fait, le projet de loi sur « l’école de la confiance » présenté le 5 décembre 2018, porté par le ministre de l’Éducation Nationale est une nouvelle illustration de cette façon d’infantiliser nos concitoyens. Jean-Michel Blanquer propose l’insertion d’un article L. 111-3-1 dans le Code de l’éducation, qui invoque le « lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l’éducation » et qui « implique également le respect des élèves et de leur famille à l’égard de l’institution scolaire et de l’ensemble de ses personnels ».
Il s’agirait de renforcer le « lien de confiance qui doit unir les membres de la communauté éducative ».
L’avocat que je suis s’inquiète des termes extrêmement imprécis de la loi. En effet, la rupture prétendue du « lien de confiance » est une notion ambiguë, qui peut être à l’origine d’interprétations particulièrement répressives à l’encontre des enseignants.
Ceux-ci sont avant tout des citoyens, et doivent, à ce titre bénéficier d’une parfaite protection de leur liberté d’expression - qui passe notamment par la publication de livres -, liberté fondamentale que la République ne saurait, une fois de plus, entraver faute de savoir comment répondre à leurs doléances.