Le manga Les Gouttes de Dieu (Kami no Shizuku), scénarisé par Tadashi Agi et dessiné par Shū Okimoto, mettant en scène une compétition œnologique, a été publié de 2004 à 2014 au Japon et est devenu un phénomène mondial (Glénat, 2008-2016 en France). Il a contribué à populariser la culture du vin bien au-delà du Japon et a eu un impact direct sur la notoriété de certains crus et domaines viticoles en France.
Le projet de série télévisée « Les Gouttes de Dieu » s’inscrivait dans cette dynamique d’internationalisation et d’adaptation de la pop culture japonaise, avec des enjeux économiques liés à l’acquisition des droits auprès de l’éditeur Kodansha et à la collaboration entre producteurs français, britanniques, américains et japonais. Dans ce contexte, la cour d’appel de Paris, dans une décision du 11 juin 2025 (n° 23/17475) a dû trancher un contentieux portant sur la valorisation des apports initiaux à un projet d’adaptation de cette œuvre de la bande dessinée japonaise.
« Gentleman’s agreement »
En 2016, Mme [J] productrice française, s’associe à la société Ad Line pour initier l’adaptation audiovisuelle du manga. Un « gentleman’s agreement » prévoit qu’en contrepartie de ses apports (initiation du projet, travaux préparatoires, maintien de la relation avec le réalisateur pressenti), elle obtiendrait 3 % des parts de coproduction et un poste de productrice exécutive.
La cour d’appel de Paris a confirmé la qualification contractuelle de ce document, qui, bien que lacunaire sur certains aspects (absence de calendrier, de précisions financières), manifestait un accord de volontés au sens de l’article 1101 du Code civil.
Cependant, la réalisation de ses engagements était implicitement liée à la concrétisation du projet dans sa configuration initiale, c’est-à-dire avec la participation du réalisateur japonais [W] et la position centrale d’Ad Line comme producteur principal.
Or, l’évolution du projet – retrait du réalisateur, arrivée de nouveaux coproducteurs internationaux, marginalisation d’Ad Line – a bouleversé l’équilibre contractuel et rendu impossible l’exécution du « gentleman’s agreement » dans ses termes d’origine.
La chaîne des droits dans l’adaptation d’un manga
Le litige mettait également en lumière la complexité de la chaîne des droits dans l’adaptation d’un manga à succès. Après la signature de l’option avec Kodansha en 2017, le projet a connu plusieurs réorganisations : implication de Dynamic Television, puis de la société française Les Productions Dynamic, qui a fini par acquérir la totalité des droits incorporels sur la série.
La cour, rappelant le principe de l’effet relatif des contrats (article 1199 du Code civil), a considéré que le « gentleman’s agreement » n’était pas opposable aux nouveaux coproducteurs, non signataires et non informés de son existence. Mme [J] ne pouvait donc revendiquer ni parts de coproduction, ni droits financiers ou moraux auprès de ces tiers, malgré son rôle d’initiatrice du projet.
La valorisation de l’apport d’idée et protection des adaptations
Mme [J] sollicitait, outre une part des recettes, la mention de son nom au générique (« Adaptation : sur une idée de [J] »), invoquant son rôle d’initiatrice et d’adaptatrice du manga. A cet égard, la cour a rappelé que les idées étaient de libre parcours et ne bénéficiaient d’aucune protection spécifique en droit d’auteur, seule la mise en forme étant protégeable.
En l’absence de clause contractuelle explicite, la demande d’une mention au générique était donc rejetée, la compensation financière (3 % des recettes nettes perçues par Ad Line) étant jugée suffisante pour reconnaître la contribution initiale de Mme [J].
Ce point est particulièrement important dans le contexte de l’adaptation d’un manga, où la frontière entre l’idée d’adaptation, le travail créatif d’écriture et la production exécutive est souvent floue. Le cas d’espèce rappelle la nécessité, dans les projets d’adaptation de licences majeures issues de la pop culture, de formaliser précisément les contributions de chacun et d’anticiper les évolutions de la chaîne des droits.
Ainsi, l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 11 juin 2025 illustre les défis juridiques propres à l’adaptation audiovisuelle d’un manga à succès : articulation entre la valorisation des apports initiaux, la protection des idées, la gestion contractuelle de la chaîne des droits et la prise en compte des évolutions inévitables des projets internationaux. Il rappelle la nécessité, pour les professionnels de l’édition et de l’audiovisuel, de sécuriser en amont les obligations et les droits de chacun dans le cadre de contrats complets et non de simples accords de principe.