disparition

Le sociologue Alain Touraine est décédé

Alain Touraine en 2010 - Photo Olivier Dion

Le sociologue Alain Touraine est décédé

Le sociologue, agrégé d'histoire et théoricien des mouvements collectifs, Alain Touraine, est décédé vendredi 9 juin à 97 ans.

Par Adriano Tiniscopa,
avec AFP Créé le 09.06.2023 à 19h07

Né le 3 août 1925 à Hermanville-sur-mer (Calvados), pilier de la sociologie en France, historien, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et intellectuel engagé, Alain Touraine est décédé vendredi 9 juin.

Né dans une famille bourgeoise, d'un père médecin et professeur de dermatologie, il intègre l'Ecole normale supérieure (ENS) en 1945 avant d'obtenir l'agrégation d'histoire. C'est en 1950 qu'il entre au CNRS où il y sera chercheur jusqu'en 1958.

Sa thèse, publiée en 1955, porte sur L'évolution du travail ouvrier aux usines Renault (Editions du CNRS). Intellectuel sur le terrain, il se fera embaucher dans une mine du nord de la France, prélude de sa théorisation des mouvements sociaux post-industriels.

Un regard proactif sur les changements du monde

Il fonde dans les années 1970 le champ d'études des « nouveaux mouvements sociaux » comme les étudiants, les féministes, les écologistes ou les régionalistes, doublé d'une méthode de travail, « l'interventionnisme sociologique ». En 1956, il crée également le Centre de recherche de sociologie du travail de l'université du Chili et étudie aussi les mineurs de charbon chiliens. Ses liens avec ce pays latino-américain sont intimes autant qu'intellectuels. Il est veuf en 1990 de la chercheuse chilienne Adriana Arenas Pizzaro avec qui il aura deux enfants, Marisol, ex-ministre sous le mandat de François Hollande, et Philippe, professeur de médecine.

Alain Touraine a notamment voyagé au Chili en 1973, expérience qu'il partage dans Vie et mort du Chili populaire : journal, juillet-septembre 1973 (Seuil). Plus globalement, il s'intéresse aux dynamismes politico-sociaux de l'Amérique latine. Il préface par exemple l'ouvrage de Brigitte Hersant Leoni consacré à l'homme d'Etat brésilien Fernando Henrique Cardoso, le Brésil du possible (L'Harmattan, 1997).

Penseur de l'action collective et transformatrice, il signe un de ses ouvrages les plus fameux Sociologie de l'action dès 1965 chez Seuil mais aussi La Conscience ouvrière en 1966 (Seuil). Il est nommé directeur d'études à l'EHESS en 1960 et devient docteur ès lettres en 1965. Professeur de sociologie à l'université de Nanterre de 1966 à 1969, il écrit un essai Le Mouvement de mai, ou le communisme utopique (Seuil, 1968). Son engagement à gauche le pousse à s'intéresser à d'autres mouvements sociaux comme celui de Solidarnosc en Pologne, premier syndicat indépendant du bloc soviétique. Il fait paraître en 1982, Solidarité : analyse d'un mouvement social, Pologne 1980-1981 (Fayard). Il est lauréat du prestigieux prix Prince des Asturies en 2010 dans la catégorie Communication et Humanités pour ses travaux d'envergure internationale.

Un engagement intellectuel et politique

Entrepreneur intellectuel, il n'aura de cesse de créer des foyers institutionnels de réflexion. En 1981, il fonde par exemple le Centre d'analyse et d'intervention sociologiques au sein de l'EHESS. Engagé politiquement également, il figure en 1994 sur la liste « L'Europe commence à Sarajevo » aux élections européennes. En 1996, scandalisé par le traitement de la question des sans-papiers de l'église Saint-Bernard à Paris, il quitte le Haut Conseil à l'intégration, auquel il appartenait depuis deux ans. Il publie aux côtés de Ségolène Royal un livre de réflexions Si la gauche veut des idées (Grasset, 2008).

Critique à l'égard du système politique et économique, il publie Comment sortir du libéralisme ? (Fayard) en 1999 où il constatait la fin de l'Etat-providence en France. En 1992, il écrit Critique de la modernité (Fayard), ouvrage dans lequel il met en exergue le modernisme occidental vu comme le triomphe de la raison. Dans La Fin des sociétés (Seuil, 2013), il synthétise l'affaiblissement inéluctable des institutions sociales : famille, école, ville, protection sociale, sociétés privées, système politique. Le sociologue y envisage une prise de conscience post-historique qui placerait l'individu au cœur du monde global et lui permettrait de contrôler l'économie libérale. Son dernier livre, Les Sociétés modernes : vivre avec des droits entre identités et intimité (Seuil, 2022) est une réflexion sur la place de l'individu dans la société, sur ses droits, son espace intime et ses relations avec les autres.

Un sociologue penseur de la condition des femmes

Lors de la COP 21 en 2015, il participe à la conférence de l'Alliance des femmes pour la démocratie. De ce colloque naît un ouvrage collectif Le Corps d'une femme, premier environnement de l'être humain (Des femmes Antoinette Fouque, 2016). Le défunt sociologue s'est aussi penché sur le processus d'affirmation de la conscience féminine et sur la construction de l'identité féminine ainsi que sur l'impact des actions féministes dans les sociétés occidentales au XXe dans Le monde des femmes (Fayard, 2006).

Les dernières
actualités