Son Rhinocéros d’or (Alma, 2013) fut une révélation et un joli succès de librairie. En quelques courts essais habilement illustrés, François-Xavier Fauvelle faisait surgir l’Afrique médiévale. Cette même démarche de curiosité et de dignité est au cœur de son "sauvage idéal", sorte d’homme limite fabriqué par les philosophes et les naturalistes occidentaux au XVIIIe siècle. Pour cela, l’archéologue s’intéresse à un peuple oublié, un peuple du bout de l’Afrique, les Khoekhoe, dont la personnalité la plus connue fut Sarah Baartman, la "Vénus hottentote" exhibée en Europe comme une bête de foire dans les jardins zoologiques, puis disséquée après sa mort par Georges Cuvier.
Comme dans la série Columbo, Fauvelle commence par la fin. On sait que les Khoekhoe ont disparu, mais pourquoi ? Et surtout comment les retrouver ? En remontant le fil de cette chronologie, en recherchant dans les archives comme sur le terrain la signature archéologique de ce peuple et les éléments de sa langue, il s’approche des origines d’une histoire oubliée. Il commence donc par ce qui reste de l’esprit de ce peuple et pour cela il ne fait pas appel à des documents, mais à un roman de Coetzee, En attendant les barbares, dans lequel le prix Nobel de littérature dénonçait l’apartheid. Il revient ensuite sur la restitution par la France de la dépouille de Sarah Baartman à l’Afrique du Sud en 2002. Puis il explique comment cette image réductrice s’est imposée.
Dès la fin du XVe siècle, les Portugais qui se rendaient aux Indes orientales par le cap de Bonne-Espérance ont rencontré ce peuple pour lequel ils ont d’abord éprouvé un sentiment d’inquiétante étrangeté pour finir par le voir comme l’incarnation à la fois du bon et du monstrueux, ce dont rend parfaitement compte la manière dont fut traitée Sarah Baartman.
C’est moins les Khoekhoe qui sont l’objet de ce livre que la manière dont ils ont été vus et utilisés par les Occidentaux dans la représentation du "sauvage idéal" que l’on peut exposer comme un objet de curiosité. Le classement que l’on opère alors dans l’espèce humaine n’est pas anodin. Il sert l’intérêt d’un philosophe comme Rousseau qui défend un retour à la nature et des naturalistes qui hiérarchisent du civilisé au sauvage avec son inévitable développement raciste.
En dernier lieu, François-Xavier Fauvelle se propose de nous dire tout de même qui furent vraiment ces Khoekhoe qui pratiquaient l’oisiveté avec générosité, considérant que le travail était réservé aux esclaves et donc pas à des peuples libres comme eux. On en apprend également un peu plus sur leur vie quotidienne, leurs traditions et leur spiritualité.
Beaucoup de choses interpellent dans ce petit livre dense, servi par une liberté d’écriture peu courante chez les universitaires. On sent le plaisir qu’il y a chez ce chercheur qui avance paisiblement dans son savoir pour réunir des traces qui finissent par former un chemin. C’est sans doute pour cela qu’avec lui les bouts de pistes sont toujours fascinants. L. L.