11 avril > Histoire littéraire France

Pourquoi donc, se questionne à plusieurs reprises Bernard Quiriny lui-même, un critique littéraire d’aujourd’hui, jeune de surcroît, est-il allé s’intéresser à Henri de Régnier (1864-1936) ? Un auteur qu’André Breton qualifiait d’ « absurde », et dont Edmond Jaloux disait qu’il était « né vieux ». Un gentilhomme dont la famille, attestée dès le XVIe siècle, était de noblesse picarde, dont la pensée fut toujours « féodale », conservatrice, un être hautain, homophobe, antisémite, portant monocle, qui mena sa carrière de façon exemplaire dans la république des lettres, jusqu’à être élu, en 1911, à l’Académie française. Un polygraphe aussi prolifique - recueils de poèmes, récits, nouvelles, essais, théâtre, plus de soixante livres publiés chez de grands éditeurs, surtout au Mercure de France de son ami Vallette - que totalement oublié.

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Justement, pour se justifier, Quiriny a recours à un joli tour de passe-passe dialectique : c’est parce qu’il fut, de son vivant et sciemment, totalement anachronique - à une exception près, la guerre de 14-18, qui lui inspira des poèmes patriotiques et consternants de médiocrité-, qu’il détestait son siècle, le XIXe, préférant se réfugier au précédent pour y situer ses romans libertins, que Régnier peut aujourd’hui redevenir d’actualité.

Bernard Quiriny, victime consentante, avoue avoir cédé au charme de son bonhomme et de son œuvre, et lui consacre un livre aussi érudit qu’espiègle, où il ne se prive pas de glisser quelques références actuelles et inattendues. Par exemple à l’album de Morris où Lucky Luke accompagne la grande Sarah Bernhardt en tournée chez les Américains, à qui elle s’obstine à réciter du Sully Prudhomme. Autre poète complètement oublié, qui fut l’un des maîtres de Régnier, avec José-Maria de Heredia, son mentor et ami. Henri épousa sa fille Marie, une sacrée pétroleuse, qui ne l’aimait pas et le fit cocu toute leur vie commune. Notamment avec Pierre Louÿs, ami de jeunesse, qui lui fit un enfant : Pierre, surnommé « Tigre », à qui Régnier, en parfait gentleman, donna son nom, qu’il éleva, mais n’aima jamais. Le pauvre gosse tenta d’être écrivain, brûla sa vie dans la bamboche et l’alcool, et mourut en 1943, à 45 ans.

L’autre ami de jeunesse de Régnier, c’était André Gide. Aussi dissemblables fussent-ils, les deux écrivains s’estimèrent, voyagèrent même ensemble - pas loin, en Bretagne, Henri était affreusement casanier. Mais leur relation se dégrada : Régnier n’accepta jamais le « coming out » gidien, et commit sur ses chefs-d’œuvre quelques articles fielleux. Gide, en 1925, vendant sa bibliothèque aux enchères afin de financer son long voyage au Congo, se débarrassa de tous les Régnier qu’il possédait !

Ces volumes « jaunâtres » désormais introuvables dont parle Quiriny, témoins d’une œuvre fantôme qu’il ressuscite avec brio dans ses « notes », qui nous donneraient -presque - envie de lire du Régnier. J.-C. P.

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