25 février > Essai Etats-Unis

Quand on sait réparer une moto, on doit pouvoir réparer le monde ! Pas si simple. Mais lorsque le mécanicien est aussi philosophe, la chose devient possible, du moins aux Etats-Unis. Car on voit mal Finkielkraut, Debray ou Onfray sur une Harley Davidson. Alors que pour Matthew Crawford, la chose est naturelle. Vieux motards que jamais…

Après avoir publié un Eloge du carburateur (La Découverte, 2010, édition poche 2016), beau succès de librairie dans lequel il pointait la disqualification du travail manuel qui fait que nous n’agissons plus sur le monde puisque nous ne comprenons plus les objets qui nous entourent, le mécano du cogito propose Contact. La référence à la bécane est toujours là, mais le propos nous éloigne du garage. Le sous-titre nous donne une indication : "pourquoi nous avons perdu le monde, et comment le retrouver". Sûrement pas à coups de clés de douze - quoique… -, mais en s’interrogeant sur ce que nous avons fait de notre liberté. Crawford met donc plein gaz dans la métaphysique et la psychologie comportementale : Kant, Hobbes, Hegel, Nietzsche, Simone Weil et Mickey. Ses dérapages sont toujours contrôlés et, dans ses accélérations, il ne perd jamais ses lecteurs. Tout simplement parce qu’en bon motard il ne quitte pas la route des yeux. Il donne des exemples, s’attarde sur un fait, le tout avec humour. Bref, il reste en mouvement.

Que nous dit-il ? D’abord il met en garde contre la manipulation marchande des individus, le fameux "temps de cerveau disponible". En perdant notre rapport au monde, notre attention s’est diluée dans le conventionnel et le discutable. Ce qui nous intéresse, c’est ce dont nous pouvons parler avec les autres, donc plutôt Mentalist qu’Ethique à Nicomaque. Nous sommes happés par ce qui nous arrive et qui ne requiert pas notre attention. D’ailleurs les technologies font tout pour ne pas solliciter notre vigilance : les voitures se garent toutes seules et freinent en cas d’obstacle. Les robots et les capteurs observent le monde, mais plus nous. La société de consommation, le capitalisme et le marché encouragent notre addiction aux objets, aux jeux, et nous coupent de la réalité. Acheter, jeter et remplacer devient la formule qui signe la perte de notre rapport aux choses. "Nous sommes situés dans un monde qui n’est pas de notre fait." Retrouver ce monde en tant que tel passe par une culture de l’attention. Et cela, explique Crawford, peut aussi procurer un vif plaisir.

L’essai est fougueux, mais précis. Les idées défilent comme les cactus sur une route de l’Arizona. Inutile de préciser que le casque est recommandé. Laurent Lemire

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