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Le livre en œuvre collective

Le livre en œuvre collective

Il ne faut pas confondre œuvre collective avec une œuvre composite ou une œuvre de collaboration.

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a jugé, le 23 mai 2019, le cas d’un ouvrage de librairie qui a changé de statut juridique au fil de ses différentes éditions. L’affaire concernait une auteure chargée, dans un premier temps de mettre à jour un fascicule sur la laïcité. Sa mission achevée, elle avait poursuivi sur ce thème et avait livré sous forme de livre un important volume, formé notamment d’une compilation. 

Or, l’entité éditrice du fascicule avait aussi diffusé sa brochure en ligne. L’auteure du livre attaquait, arguant qu'il s'agissait d’une version provisoire de son projet final.

La Cour considère que la version mise est qualifiable d’œuvre collective, celle-ci étant publiée sous la direction de la personne morale tandis que le livre relève de l’œuvre de collaboration. Les magistrats signent un arrêt digne de Salomon, attribuant donc la paternité de l’œuvre collective à l’éditeur et celle de la version en librairie à son auteure, en soulignant que les similitudes proviennent d’un travail de compilation puisant chacune dans le domaine public.  
Cette décision est l’occasion de revenir sur le statut des œuvres créées à plusieurs….

En droit, un travail commun donne naissance à une œuvre de collaboration, qui sera donc propriété commune des coauteurs. L’article L. 113-2 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) énonce en son premier alinéa : « Est dite de collaboration l’œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques. »

Les apports respectifs peuvent être de même nature (chacun écrit une partie de l’ouvrage) ou totalement différents (un scénariste et un dessinateur, dans le cas d’une bande dessinée). Pour que ce statut s’applique, il n’est pas nécessaire que les auteurs aient véritablement travaillé de concert. L’œuvre de collaboration est donc une situation très commune dans le monde de l’édition.

L’éditeur doit, par exemple, prendre garde à l’incidence des illustrations : le livre, s’il est abondamment illustré, peut devenir une œuvre de collaboration entre l’auteur du texte et celui des dessins ou photographies. C’est ainsi qu’un artiste graveur s’est vu reconnaître devant les tribunaux la qualité de coauteur d’un livre consacré à l’art fantastique de la gravure, pour lequel sa spécialité lui avait valu de jouer le rôle de conseiller. De même, le coloriste, auquel il est parfois fait appel en bande dessinée, peut être un troisième coauteur.

Les nombreux – et souvent célèbres – couples littéraires sont constitués juridiquement de coauteurs, quelle que soit leur méthode de travail : Souvestre et Allain (écrivant chacun, à tour de rôle, les chapitres des aventures de Fantômas), Boileau-Narcejac, etc. Une œuvre peut être considérée comme de collaboration quand bien même un auteur aurait à lui seul écrit presque tous les chapitres, et d’autant plus si l’éditeur a apposé deux noms sur la couverture du livre.
Les coauteurs se partagent la propriété de l’œuvre : l’article L. 113-3 du CPI dispose que « l’œuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs». Mais ils se partagent aussi à part égale l’exercice des droits sur leur œuvre commune. 

Le cas de la BD

Cette propriété commune ne signifie pas pour autant que leur rémunération devra être égale. Il est fréquent que le scénariste de bande dessinée reçoive un pourcentage inférieur à celui du dessinateur. Par ailleurs, « les coauteurs doivent exercer leurs droits d’un commun accord. En cas de désaccord, il appartient à la juridiction civile de statuer » (article L. 113-3 du CPI). 

Cependant, quand bien même la propriété de l’ensemble de l’œuvre échoit à tous les auteurs, chacun reste maître de son propre apport si celui-ci est individualisable. Selon l’article L. 113-3 du CPI, « lorsque la participation de chacun des coauteurs relève de genres différents, chacun peut, sauf convention contraire, exploiter séparément sa contribution personnelle, sans toutefois porter préjudice à l’exploitation de l’œuvre commune ». Si donc aucune clause du contrat n’interdit à chacun des coauteurs une exploitation séparée ultérieure, ils pourront librement y procéder, sous la seule réserve que concurrence ne soit pas portée à l’œuvre principale. En pratique, un travail d’écriture conjoint ne permettra que rarement une exploitation séparée. Il a déjà été jugé qu’un dessinateur de bandes dessinées ne pouvait exploiter séparément son apport. Mais il existe une jurisprudence contraire, issue de la Cour de cassation en 1997, attribuant à un seul des auteurs la propriété des personnages et de leurs noms. Le même arrêt a permis de juger que le dessinateur était seul propriétaire matériel des planches originales, car il en était l’exécutant…

Par ailleurs, l’article L. 113-5 du CPI définit l’œuvre collective comme « l’œuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé ». Il est classique de considérer qu’un dictionnaire ou une encyclopédie sont a priori des œuvres collectives. En 1970, la Cour de cassation a même jugé que le Cours de voile des Glénans était une œuvre collective, due à l’initiative du célèbre centre de plaisance.

La qualification d’œuvre collective ou d’œuvre de collaboration ne coïncide pas automatiquement avec tel ou tel genre de livre. La preuve contraire est toujours possible. En 1981, la Cour d’appel de Paris a ainsi qualifié une bande dessinée d’œuvre collective en raison notamment du nombre de coauteurs. À l’inverse, certains dictionnaires — quand ils ne sont pas dus, tel le Littré, à une seule valeureuse plume…  — peuvent être des œuvres de collaboration.
Les critères retenus par la jurisprudence sont cependant de plus en plus flous. La définition législative de l’œuvre collective est en effet pour le moins ésotérique. Traditionnellement, deux conditions essentielles présidaient à cette qualification : l’existence d’un coordinateur et l’impossibilité, contrairement à l’œuvre de collaboration, de partager la qualité d’auteur de l’ensemble de l’œuvre entre tous les participants. Mais le nombre d’auteurs compte désormais pour beaucoup dans l’attribution quasi-instinctive par certaines juridictions des étiquettes « œuvre de collaboration » et « œuvre collective ».
 
Quant à l’œuvre composite, visée à l’article L. 113-2 du CPI, elle est définie comme « l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière ». Cette incorporation est à entendre dans le sens le plus large et peut adopter les formes les plus variées. 

Aux termes de l’article L. 113-4 du CPI, « l’œuvre composite est la propriété de l’auteur qui l’a réalisée, sous réserve des droits de l’auteur de l’œuvre préexistante ». Seul le second créateur, celui de l’œuvre composite et non de l’œuvre préexistante, est donc titulaire des droits sur l’œuvre composite. Mais il devra auparavant s’être assuré de la possibilité d’utiliser l’œuvre préexistante. Celle-ci peut être tombée dans le domaine public, auquel cas la seule précaution consiste à éviter de bafouer le droit moral du premier auteur ; ou bien les droits patrimoniaux sont toujours en vigueur, et il faudra obtenir l’autorisation du titulaire des droits sur l’œuvre préexistante.

Enfin, il ne faut pas ignorer que les différents types d’œuvres créées à plusieurs personnes peuvent être combinés entre eux. Il existe notamment des œuvres composites de collaboration : celles, par exemple, où deux auteurs ont intégré à leur création commune une œuvre préexistante.

Le droit est aussi complexe que le sont les voies de la création.
 
 
 

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