Assises du livre numérique

Le laboratoire du futur de la lecture

SNE

Le laboratoire du futur de la lecture

Réflexion théorique, partage d’expériences concrètes, innovations, normes techniques, nouvelles écritures : les assises du livre numérique ont exploré les pistes du futur de la lecture, exposée à la concurrence grandissante de multiples autres formes de loisirs.

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Par Hervé Hugueny
Créé le 06.11.2019 à 02h00

Le livre tient encore plutôt bien sa place parmi les industries culturelles, mais ses acteurs ont parfois l’impression d’occuper une citadelle assiégée, en s’interrogeant sur leur capacité de résistance. « Comment lirons-nous demain ? », thème des assises du livre numérique organisées par le Syndicat national de l’édition (SNE) à Paris le 5 novembre visait à explorer diverses pistes de ce futur, et peut être à rassurer sur la capacité de renouvellement du secteur, en attente de réponses au vu des 700 inscriptions enregistrées.

« Un record » s’est félicité Pierre Dutilleul, délégué général du SNE, qui a aussi rappelé l’évolution de la formule des assises, entre séances plénières le matin et tables rondes simultanées l’après-midi.

S’il est finalement resté à un niveau modeste dans le volume des ventes, au soulagement certain de la filière, le livre numérique est devenu une sorte de poste avancé dans cette « économie de l’attention, le vrai changement » qui caractérise la situation actuelle selon Bruno Patino, directeur éditorial d’Arte France. Auteur en 2008 d’un rapport sur Le devenir numérique de l’édition, qui recommandait une ferme maîtrise du prix de vente, il vient de publier chez Grasset La civilisation du poisson rouge. L’essai analyse précisément cette concurrence exacerbée entre de multiples producteurs et diffuseurs de contenus, qui aboutit à une fragmentation de la capacité d’attention.

La gestion du temps

« Notre temps libre a certes augmenté mais l’offre de loisirs divers a augmenté encore beaucoup plus vite » résume Olivier Donnat, sociologue au département des études de la prospective et des statistiques (DEPS) au ministère de la Culture, auteur d’une remarquable étude intitulée Evolution de la diversité consommée sur le marché du livre 2007-2016 , publiée en septembre 2018.

D’où l’impression constante d’un cruel manque de temps face aux sollicitations incessantes, que la frénésie des comportements multitâches tente de compenser en augmentant la productivité du temps disponible explique Bruno Patino. Avec le livre numérique et le livre papier, l’édition disposerait de deux supports adaptés à différents types de lecture, propres à répondre à cette économie de l’attention fragmentée, ou au besoin d’une immersion soutenue, déconnectée des sollicitations extérieures.

La concurrence est ancienne a rappelé Olivier Donnat et a commencé dans les années 1980 avec l’affluence de nouvelles chaînes de télévision, l’arrivée du magnétoscope, du walkman, de consoles de jeux. Des tendances sociologiques profondes amplifient ses effets, encore en partie masqués par la génération du baby boom, nombreuse et très consommatrice de livres, contrairement aux plus jeunes. Et la lecture est exclusive de toute autre activité, contrairement à la musique, à 90% une occupation de second rang, complémentaire d’une autre tâche, de même que la télévision. Pierre-Emmanuel Ferrand, directeur digital du groupe Canal +, reconnaît qu’elle est aussi touchée par la perte de la capacité attentionnelle de son public, et doit pactiser avec de nouveaux concurrents, Netflix en tête.

Différences entre sexe

Au moins, la lecture numérique permet d’observer ce phénomène, de le mesurer et de vérifier ce qui fonctionne, ou pas. C’est ce que propose Jellybooks, une société britannique d’analyse des comportements des lecteurs, qui traque via des panels de volontaires l’effet des couvertures, la durée de l’attention (20 à 30 minutes au maximum) ou les moments de décrochage, les recommandations sur les réseaux sociaux, ou leur absence, et pourquoi – tout le contraire du pari romantique sur l’intuition de l’éditeur et les succès improbables qui la récompensent, parfois. Pour Andrew J. Rhomberg, son fondateur, la ligne de fracture est surtout de genre, plus que de génération, les hommes étant plus enclins à abandonner un livre qui ne les accrochera pas dans les 20 premières pages, alors que les femmes tiendront plus longtemps.

Dans cette foire d’empoigne, le livre numérique est aussi un laboratoire de diffusion, notamment pour relancer et entretenir le fonds soutien Eric Marbeau, responsable des partenariats et de la diffusion du groupe Madrigall, mais aussi pour tester des stratégies de prix, d’orientation des ventes et d’équilibre entre les revendeurs ou les formats (téléchargement ou streaming) pour éviter de dépendre d’un acteur dominant ajoute Emilie Mathieu, directrice générale d’e-Dantès, diffuseur numérique pure player.  C’est aussi un moyen de donner de la visibilité au livre imprimé dont il est issu, sur les réseaux sociaux, et sur Internet en général où les lecteurs vont chercher de l’information insiste Fanny Ruph, directrice e-commerce d’Interforum, qui a rappelé l’importance capitale des métadonnées dans ce processus.

Ciblage de la jeunesse

Ces assises accueillent aussi à chaque session des producteurs de services nouveaux, au cours de présentations chronométrées, en phase avec ce temps disponible si rare. Cette année, Wakatoon et Mediatoon ont expliqué leur partenariat dans la création et la diffusion du livre à colorier qui se transforme en dessin animé, « effet waouh » garanti auprès des parents, et retour des enfants vers la matérialité de la création et de l’objet sur lequel elle s’appuie. Sondo, issu de Mobidys, a exposé le lancement d’une bibliothèque numérique qui propose aujourd’hui pour les élèves « dys » environ 200 livres et manuels adaptés, produits industriellement sur la plateforme « frog factory ». Odiofilm a présenté son système de production de livre audio enrichi, qui va au-delà de la simple lecture de texte, pour produire un effet immersif à l’écoute.

Si elle génère une production exponentielle de contenus concurrents au livre, la technologie permet aussi de rendre sa lecture accessible à des publics qui en étaient jusqu’alors privé, mais il y a encore du travail à faire : « moins de 10% de la production éditoriale est accessible aujourd’hui pour les déficients visuels, soit 1,7 million de personnes en France, dont 200 000 aveugles » a rappelé Luc Audrain, responsable support à la numérisation d’Hachette Livre, et président du groupe normes et standards du SNE, qui travaille sur ces questions d’accessibilité.

Nouvelles formes de narration

Ses membres ont expliqué les principes d’une production de livres numériques accessibles basée sur le format EPUB3, pour répondre à ce besoin, et à une obligation en réponse à une directive européenne qui sera effective en France en 2025. Le service du livre et de la lecture du ministère de la Culture accompagne cette mise en œuvre, avec l’ensemble des acteurs du secteur, tous concernés. Ce programme n’aurait pas été possible sans les outils fournis par EDRLab, dont l’action est déterminante dans le développement de l’EPUB3, et qui prépare maintenant une adaptation au livre audio et aux différents types de production en BD, jusque dans le webtoon, manga propre à la diffusion sur smartphone.

Car le livre numérique permet aussi de nouvelles formes de narration, qui multiplient les possibilités de création pour les auteurs, à condition d’être eux aussi multitâches, entre auteurs, scénaristes de films ou de séries, de jeux, etc, sans que ce soit une obligation. Madeleine Féret-Fleury, qui a entre autre co-écrit une nouvelle version du « livre dont vous êtes le héros » (Ready, Hachette romans) fait partie de cette génération de créateurs intervenant dans de multiples formats, tandis que Bastien Vivès, auteur de bande dessinée, entre autres de la série Last man, s’en tient plutôt à une répartition des fonctions dans un travail collectif.

L’ensemble des contribution, y compris celles du livre audio et de la production numérique à l’école, sera disponible prochainement sur le site du SNE, comme celles des assises de l’an dernier.

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