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Le droit d’auteur à l’épreuve de la société de la connaissance

Le droit d’auteur à l’épreuve de la société de la connaissance

Derrière le projet de directive européenne sur le droit d'auteur, c’est donc un paysage renouvelé du droit d’auteur et de son exercice qui se profile. A l'Europe d'innover et d'inventer un nouveau modèle où la dimension économique de toute création et l’indispensable liberté de manœuvre de chacun dans l’appropriation, la transformation et la création de contenus seraient prises en en compte. 

En rejetant le projet de Directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique, le Parlement européen semble reconnaître qu’il ne suffit pas de trouver un équilibre entre lobbies concurrents, qu’ils soient publics ou privés, pour jeter les fondements de ce qui s’avère être non pas un simple marché, mais la société de la connaissance elle-même, à l’âge du numérique. 
 
L’univers de la connaissance se transforme en une immense bibliothèque en expansion où tous les acteurs seraient, à la fois et à des degrés divers, usagers, producteurs et intermédiaires. Un continuum de données où deviennent mouvantes les frontières et les hiérarchies entre les œuvres, les modes d’expression, les niveaux d’exigence. Mais aussi un univers qui, sortant de son pré carré savant, tend à imprégner toutes les activités humaines, même les plus communes.

Un nouvel âge des "communs" 

Certains en tirent la conclusion que nous entrons dans un nouvel âge des « communs », dont la gratuité serait le sésame et tout titre de propriété l’ennemi. Ils oublient que les enclosures furent à l’origine de la première révolution verte, que le droit d’auteur a dynamisé depuis Beaumarchais la création intellectuelle et que la nouvelle ingénierie documentaire n’a pas été inventée, cette fois-ci, par la puissance publique mais par les startups de la Silicon Valley.
 
D’autres au contraire voient dans ce chamboule-tout un risque de dépréciation de la création et d’aplatissement des valeurs. Ils pensent qu’après une courte période de flou artistique il convient – comme le suggérait le projet de Directive - de renforcer les protections existantes en semant des checkpoints à tous les carrefours du web pour en faire un parcours du combattant. Ils oublient qu’à la différence des biens matériels c’est en se partageant que les idées prospèrent et que la liberté d’accès est une condition nécessaire de cette nouvelle économie.

La valorisation d'un livre
 
En réalité, ces deux points de vue expriment les contradictions d’une même réalité. Ces contradictions ont été longtemps gérées, pour l’essentiel, grâce à une répartition des rôles entre sphères privée et publique. Par exemple, un livre acheté par une bibliothèque publique pouvait être lu théoriquement une infinité de fois. Cette fiction d’une valeur d’usage déconnectée de sa valeur d’échange a connu un premier accroc dans les années 2000 avec le droit de prêt. Celui-ci ne faisait jamais que forfaitiser des actes de lecture en forte augmentation et évitait le paiement à l’acte demandé par certains éditeurs. Aujourd’hui, avec internet, c’est la valorisation d’actes de lecture véritablement répétables à l’infini qui prévaut, même si cette valorisation est masquée par des modes de financement indirects comme la publicité. 
 
Aussi, les « exceptions » au droit d’auteur sont-elles appelées à s’amenuiser, même pour de simples citations, comme le montrent les contraintes que la directive européenne voulait faire peser sur celles-ci. Dans un monde où la lecture intégrale d’une œuvre cède du terrain à une extension du mashup, les citations apparaissent comme la porte ouverte à une récupération de contenus tous azimuts. Par conséquent, sauf à admettre que les exceptions sont une forme de charité entérinant une société du savoir à deux vitesses, un autre modèle est à concevoir qui intègrerait pleinement la connaissance dans une économie ouverte, partagée et soutenable. 

Un modèle à inventer
 
On a du mal à imaginer que cette économie en plein essor repose éternellement sur la publicité et reste ainsi à la remorque de la consommation des biens matériels. De même, on a du mal à croire qu’une contribution financière accrue des GAFAM, bien que nécessaire, suffise.
 
Il faut explorer d’autres pistes, plus structurelles. Par exemple, celle de l’économie de l’information humaniste que prône l’ancien gourou de la Silicon Valley, Jaron Lanier, informaticien et musicien professionnel (cf. Internet : qui possède notre futur ? Le Pommier, 2014). Elle part de l’idée que chaque utilisateur d’internet n’est pas seulement un consommateur mais aussi, même de façon minime, un créateur et donc un producteur de valeur qu’il faut pouvoir rémunérer plutôt que de laisser les plateformes en tirer un bénéfice exclusif. Il s’agit donc de reconnaître, à la fois, la dimension économique de toute création et l’indispensable liberté de manœuvre de chacun dans l’appropriation, la transformation et la création de contenus. 
 
Ce genre de perspective n’est ni une utopie, ni la négation du rôle de la puissance publique, ni une remise en cause du droit d’auteur et des éditeurs mais plutôt, comme souvent avec le numérique, une reconfiguration de ce qui prévalait jusqu’à présent. 

Où le Big Data ouvre le domaine des possibles
 
Ainsi, les outils permettant de garantir la mémoire d’un nombre incalculable de transactions et d’opérer les micropaiements correspondants - de façon décentralisée ou non, individualisée ou collective - deviennent possibles avec le Big Data. Par ailleurs, l’identité numérique permettant à chacun de faire valoir son activité propre et d’en garder la maîtrise, quel qu’en soit le support, est déjà en gestation. Elle peut s’augmenter d’une véritable identité créative, ancrage d’un droit d’auteur renouvelé. La puissance publique de son côté a un rôle majeur à jouer, non plus seulement pour continuer à gérer les services publics de l’information et de la culture, mais pour réguler l’économie des transactions, garantir l’intégrité des identités créatives, empêcher que ne se constituent des positions de monopole et veiller, par exemple par des dispositifs de péréquation, à ce que personne ne soit exclu. Quant aux intermédiaires, au premier rang desquels les éditeurs et les producteurs – ainsi que les comités de pairs dans le domaine scientifique - ils continuent à jouer un rôle de premier plan, mais dans un contexte étendu à beaucoup d’autres acteurs.
 
Derrière le projet de directive européenne c’est donc un paysage renouvelé du droit d’auteur et de son exercice qui se profile. L’Europe doit, en tant qu’entité politique indépendante, en prendre toute la mesure et non pas simplement évaluer les rapports de force entre des instances qui donnaient le lajusqu’à présent. Elle doit surtout ne pas perdre de vue la finalité première qui a motivé jusqu’à présent l’évolution des droits appliqués à la création intellectuelle, à savoir : étendre le champ de la liberté d’expression et de création, non le restreindre. Espérons que, faute d’avoir initié la révolution numérique comme elle avait pourtant su le faire avec l’imprimerie, l’Europe saura innover politiquement dans la promotion et la régulation de ce nouveau paysage.  
 

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