Fin août 2024, La société Jours de passion avait appris que les éditions des Arènes prévoyaient de publier le 12 septembre 2024 un livre intitulé Les nouveaux seigneurs, comportant, selon elle, la reproduction au moins partielle de quatre articles publiés dans son magazine, sur lesquels elle revendiquait des droits d'auteur. La société, éditrice du magazine Jours de chasse, avait assigné en référé la maison d’édition. L'action visait principalement la suspension de la publication de l'ouvrage et le paiement d'une provision pour réparation du préjudice.
Par ordonnance du 11 septembre 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris avait estimé qu’il n'y avait pas lieu à référer pour le surplus. Jours de passion a interjeté appel le 17 septembre 2024, demandant notamment à la Cour d'infirmer le refus de référé et d'ordonner l'arrêt de la commercialisation de l'ouvrage litigieux comportant les reproductions illicites, sous astreinte, ainsi que l'allocation d'une provision de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts.
L'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris le 1er octobre 2025 (N° RG 24/15621), apporte des clarifications essentielles concernant l'appréciation des conditions d'urgence et de l'existence d'un trouble manifestement illicite dans le cadre d'une action en référé fondée sur la contrefaçon de droits d'auteur, notamment lorsque l'originalité de l'œuvre est contestée.
Sur l'absence de dommage imminent ou de trouble manifestement illicite
L'article 835 du Code de procédure civile autorise le juge des référés à prescrire des mesures conservatoires ou de remise en état, même en présence d'une contestation sérieuse, pour prévenir un « dommage imminent » ou faire cesser un « trouble manifestement illicite ». La Cour a rappelé que l'appréciation du dommage ou du trouble doit être faite au jour où le premier juge a statué.
Or, il est apparu que dès le 2 septembre 2024, après avoir reçu le courriel de Jours de passion, la société Les Arènes avait publié une annonce dans Livres Hebdo demandant aux libraires de ne pas mettre en vente l'ouvrage litigieux et d'effectuer les retours des exemplaires reçus. Les Arènes ont également justifié avoir adressé un message aux libraires via leur distributeur, Interforum, pour réitérer l'interdiction de commercialisation.
Par ailleurs, comme il n'est pas contesté que la nouvelle édition, publiée en octobre 2024, ne comportait pas les reproductions reprochées, la Cour a estimé que les mesures prises par Les Arènes étaient de nature à écarter l'existence d'un trouble. Le fait que l'appelante ait pu se procurer trois exemplaires litigieux après le 10 septembre 2024 était insuffisant pour démontrer la réalité d'un dommage imminent.
L’originalité de l’œuvre
La Cour a également rappelé que l'existence d'un trouble manifestement illicite découlant de la contrefaçon suppose que les œuvres revendiquées apparaissent, avec l'évidence requise en matière de référé, protégeables par le droit d'auteur. L'auteur jouit d'un droit de propriété incorporelle sur une œuvre de l'esprit, du seul fait de sa création, mais il doit justifier, lorsque l'originalité est contestée, que l'œuvre présente une « physionomie propre » reflétant l'empreinte de la personnalité de son auteur.
Jours de passion prétendait que l'originalité des articles de Jours de chasse résultait de la combinaison des textes et des photographies, et de choix créatifs spécifiques : utilisation d'une police de couleur pour les titres, choix de photos d'animaux sauvages en gros plan, et des textes retraçant l'historique des demeures et la convivialité des hôtes.
Toutefois, la Cour a constaté que Jours de passion n'explicitait pas, même succinctement, les choix artistiques ou le processus créatif qui auraient présidé à la rédaction de ces articles, ni en quoi ces choix refléteraient la personnalité d'un auteur. Cette description a été jugée « sommaire et purement objective ». En conséquence, La Cour a estimé que Jours de passion a échoué à démontrer l'évidence de la protection des œuvres par le droit d'auteur, ce qui empêche de qualifier le trouble allégué de « manifestement » illicite.
Réservée aux atteintes évidentes et actuelles
En définitive, la cour d’appel consacre une approche prudente et équilibrée : la protection du droit d’auteur doit reposer sur des éléments probants et individualisés, tandis que le référé demeure une voie d’urgence réservée aux atteintes évidentes et actuelles. Cette décision rappelle que la seule invocation du droit d’auteur, sans démonstration d’une originalité tangible ni d’un trouble caractérisé, ne saurait fonder une mesure d’interdiction immédiate.

