Comme toute autobiographie qui se respecte, ça commence par l'enfance, et les parents, la mère surtout, qui occupe une position centrale dans toute cette histoire. Et ça court jusqu'à aujourd'hui, où l'auteur décrit, avec force détails, sa maison, entourée d'un jardin où poussent des bambous. Il y vit avec ses objets familiers, ses bibliothèques, ses pianos, son clavecin : d'où un dégagement sur Couperin, l'un de ses musiciens favoris. Le lecteur à l'impression d'y être, invité au coin de l'âtre par ce Drillon du foyer.

Mais ça, ce n'est que la charpente d'un vaste édifice bien plus complexe, plus proustien si l'on veut. Partant de sa famille et de son enfance, Jacques Drillon procède par associations d'idées : par exemple, le goût de l'ordre de son père se réfère à Vauban, son idole ; son instituteur marianiste lui fait découvrir Péguy ; un jeune curé, chez les scouts, lui parle d'Erasme ; et le metteur en scène Jean-Marie Villégier, avec qui il a travaillé et tourné trois courts-métrages, à l'époque où il était étudiant au Théâtre national de Strasbourg, l'enthousiasme pour La tentation de saint Antoine. Jacques Drillon, journaliste depuis des décennies, qui a commencé comme critique cinématographique dans son Est natal, est un érudit, musicologue, grammairien, philosophe, cruciverbiste, et toutes ces disciplines lui ont fourni la matière d'une vingtaine de livres, plutôt divers. Il est aussi traducteur et il a été professeur de grammaire à Cergy, à l'usage des jeunes filles. Notre homme, qui s'assume élitiste dans ses goûts, est un passeur de culture. Pas toute, hélas. Par exemple, il se révèle irrécupérable pour le rock'n'roll : « cette musique du peu, du très peu, imaginée par des hommes à l'imagination creuse comme un vieux radis. Une musique de la ruine, de l'échec et du renoncement. »

Jacques Drillon peut avoir la dent dure. Sa mère en fait les frais, présentée comme une bourgeoise bigote, antisémite, snobinarde, horripilante, dont il « détestai[t] l'esprit ». Elle était cultivée, néanmoins, elle lui a fait l'école et l'a aimé, quand il était enfant. Après, ça s'est gâté, et il a un peu dérapé.

La suite, dans le désordre de la mémoire, au prochain volume, sans qu'on sache combien cette entreprise en comptera. Autant qu'A la recherche du temps perdu ?