Interview

Laurent Mauvignier, la mise en scène comme geste d’écriture

Laurent Mauvignier. - Photo R. Allard

Laurent Mauvignier, la mise en scène comme geste d’écriture

Romancier mais également dramaturge, Laurent Mauvignier se lance, avec sa nouvelle pièce Proches (Minuit), dans la mise en scène. Première mardi 12 septembre au soir au théâtre de la Colline à Paris.

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Par Sean Rose
Créé le 11.09.2023 à 16h24 ,
Mis à jour le 12.09.2023 à 10h04

Livres Hebdo : Proches est votre quatrième pièce, mais votre toute première mise en scène, qu'est-ce qui vous a décidé à diriger des acteurs ?

Laurent Mauvignier : J’avais une première version du texte, issue d’un scénario du court métrage que j’avais réalisé. La dramaturge Charlotte Farcet m’a proposé de faire un « labo » d’une semaine au théâtre de la Colline, en mars 2020, juste avant le confinement, à partir d’un de mes textes, avec des comédiens. Je leur ai proposé d’adapter Proches. On a commencé, et, un an après, nous nous sommes retrouvés pour un deuxième « labo », toujours à la Colline, pendant une semaine, pour revenir sur le texte. Puis, un an encore après, une nouvelle semaine. Je revenais sur le texte pendant ces longues périodes entre deux séances, et enfin le moment est venu où nous nous sommes dit que la prochaine étape, c’était de placer les comédiens sur un plateau, de faire vivre le texte, de le réaliser, si l’on veut, par la scène. La mise en scène est donc venue comme un aboutissement de l’écriture, comme un geste d’écriture, comme son accomplissement.

 

Votre pièce Proches réunit, comme son titre l’indique, des gens d'une même famille, lesquels mettent à l'épreuve cette supposée proximité. La famille est-elle selon vous le lieu idéal du drame ?

Il n’y a pas forcément de lieu « idéal du drame », mais il est vrai que la famille offre de nombreux avantages : ses membres se connaissent, s’éprouvent, se testent, s’éloignent et s’approchent, se rapprochent, s’observent, s’ignorent. C’est l’idée de la foule et du groupe réduit à sa plus simple et plus pure expression : comme un seul être constitué de plusieurs entités. J’avais lu il y a longtemps l’idée qu’en se transformant en nuée, les oiseaux créaient un être unique dont chacun était, littéralement, un membre. Ce qui m’intéresse dans la famille, c’est comment tout le monde est lié, comment chacun doit lutter pour vivre dans le groupe tout en existant hors du groupe. Ce sont des questions qui traversent nos sociétés où l’individualisme prime, mais où chacun essaie d’appartenir à une communauté, une tribu, une famille, au sens large. Mais les deux injonctions sont parfois contradictoires et c’est cette tension, ce paradoxe qui m’intéresse.

 

Il s'agit ici du retour de l'enfant prodigue qui tarde à venir : c’est En attendant Godot de Beckett qui rencontre Huis clos de Sartre ? À travers la crise que traverse ce clan semble percer comme un brin d'absurde…

Je ne sais pas s’il y a un lien, même minime, même inconscient, avec le théâtre de l’absurde. Comme tout un chacun, ce théâtre de l’absurde a façonné une partie de ma culture théâtrale, et j’ai tellement fréquenté l’écriture de Beckett que ça doit peut-être se voir un peu, même de très loin. Mais pour ce qui est de l’attente, qui est le motif principal de Proches, j’ai sans doute davantage pensé au Quelqu’un va venir de Jon Fosse qu’au Godot de Beckett. Je pense que c’est plutôt une forme d’ironie, de conscience du dérisoire de la vie et de l’écriture. C’est sûr, la mise en question des clichés sociaux, familiaux, des stéréotypes du langage et des représentations me pousse à traiter les rapports humains avec une certaine distance ironique et j’espère avec humour, mais qui est différente, je crois, de l’absurde.

 

Qu’est-ce que faire jouer des comédiens – les voir interpréter votre texte – vous a enseigné sur l'écriture théâtrale ? Quelle différence entre écrire un roman et écrire une pièce ?

Ce qu’il faut préciser, c’est que le texte pour le théâtre ne se fixe jamais vraiment. Il se modifie au gré des mouvements du plateau, des exigences de la mise en scène, de ses contraintes. Il est très important, pour les comédiens, d’éprouver à travers leur partition le chemin intérieur de leur personnage : d’où il vient, ce qui le motive, où il va, là où il arrive. Ce ne sont pas tant des questions psychologiques liées aux personnages, pas tant non plus des questions scénaristiques, que des exigences autour du cheminement souterrain du personnage, pour que l’acteur comprenne par quoi il est agi. Chacun a besoin de se raconter une route, un trajet, et c’est surtout ça, aujourd’hui, que je retiens. Cette route, je la suis aussi en écrivant un roman, mais au théâtre c’est par l’acteur que la question se pose, quand, dans un roman, c’est l’écriture qui la révèle.

 

Laurent Mauvignier, Proches, 128 p., 15 € (éd. Minuit)

Créée par Laurent Mauvignier au théâtre de la Colline à Paris, Proches s’y jouera jusqu’au 8 octobre 2023, puis tournera à partir du printemps 2024 jusqu’à l’automne de la même année à Aix-en-Provence, Toulouse, Colmar, Grenoble…

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