Elle était à la fois Karen Blixen et Isak Dinesen. Une baronne et une aventurière à côté de qui l’héroïne du roman de Dominique de Saint Pern a vécu pendant vingt ans. Née en 1914 dans une famille de pêcheurs danois, miss Clara Svendsen est diplômée de littérature, polyglotte, latiniste, pianiste à ses heures. Elle a été la "secrétaire d’une femme de génie puis, au fil des ans, sa dame de compagnie, son infirmière, sa traductrice, sa lectrice la plus exigeante, son esclave consentante, payée au lance-pierre, le plus souvent pas du tout".
L’auteure de La ferme africaine et de Sept contes gothiques, elle la présente comme vraiment très forte, avec "de l’aplomb, une présence envoûtante". La dame a encaissé les coups, a été capable de rajeunir et de renaître avant de finalement s’éteindre en septembre 1962 dans sa maison de Rungstedlund au Danemark en laissant derrière elle une œuvre qui "tout entière interroge les mystères de l’identité", selon Clara. Laquelle accepte finalement de se rendre en 1984 sur le tournage d’un film de Sydney Pollack. La voici à Nairobi, où l’on a cherché à recréer l’atmosphère des années 1910, la veille de la première prise.
L’actrice Meryl Streep apparaît devant elle avec une diction parfaite et un "teint de crème fouettée qui absorbe la moindre particule de lumière voletant à sa portée". Elle cherche à travailler les contours de son personnage, veut en apprendre plus sur celle qu’elle doit incarner à l’écran. Une Karen Blixen qui écrivait à son frère Thomas : "Je n’ai jamais connu de chagrin assez grand que l’achat d’un chapeau neuf ne puisse soulager." Karen avait épousé son cousin, le baron Bror von Blixen-Firecke, homme jouisseur, cavalier et grand chasseur blanc qui fascinait Hemingway.
Au Kenya, Clara se met à rencontrer des témoins de l’époque. Dont la très excentrique Beryl Markham, jadis pétroleuse de haut vol et séductrice à l’attraction magnétique. A plus de 80 ans, Beryl garde une bonne descente et décrit Bror à son interlocutrice comme le plus exquis des amis mais un mari impossible. Elle évoque aussi quelqu’un qui a beaucoup compté pour Karen Blixen, ce Denys Finch Hatton qui appartenait "à la tribu des bienheureux" et avait "le pouvoir de donner une présence au silence"…
Très documentée, l’auteure de L’extravagante Dorothy Parker (Grasset, 1994) et des Amants du soleil noir (Grasset, 2005) a trouvé un angle original pour évoquer la complexité de la baronne Blixen. Une femme moderne et libre que l’on n’a pas fini de découvrir. Al. F.