Du narrateur, on ne sait pas grand-chose. On subodore que c’est un trentenaire pas très heureux dans sa vie, ni sentimentale ni professionnelle, et pas très loin de la dépression. Aussi, lorsque son ami Henry, devant partir un mois en voyage, se propose de lui prêter sa maison de l’île Sainte-Pélagie, accepte- t-il avec gratitude cette parenthèse bienvenue, qui lui permettra de "faire le point", de se "ressourcer", comme on dit dans les rubriques bien-être des magazines. Et nonobstant le fait que le nom même de l’île évoque plutôt une sinistre prison (pour femmes) du XIXe siècle qu’un paradis (fiscal) sous les tropiques.
Dès le début, tout part en quenouille : sa voiture tombe en panne, le restoroute où il s’arrête lui sert un hamburger décapité… La traversée vers l’île est houleuse, sur le bateau de Snoopy, le passeur ivre mort. Et puis, à peine installé, ayant pris possession temporaire de la maison en échange de quelques travaux de jardinage et de soins à Nestor, le chien tripode, se produisent des événements bizarres : la bibliothèque ne propose que des livres lacrymatoires accompagnés de mouchoirs en papier, des vendeurs d’encyclopédies viennent sonner à sa porte à 3 heures du matin, un avion, dans le ciel, diffuse à son usage exclusif ses messages, il neige subitement en plein été… Il a pour seule compagnie une bande de poivrots autochtones sympas (dont Snoopy), qui l’entraînent dans quelques aventures improbables, cueillette d’étoiles filantes ou course au trésor. Il conduira même par intérim, deux jours de tempête, la navette, ce qui lui permettra de se régaler des jolies jambes d’une fille en minijupe. Et puis, alors que le charme bizarre de l’endroit opère puissamment sur lui, qu’il a même commencé à se plaire à la plage, survient son voisin, un vieil homme avec qui il sympathise, jusqu’à ce qu’il lui avoue avoir "acquis" sa maison en se débarrassant du légitime propriétaire. Plutôt que de retourner sur un continent où rien ne le requiert, le narrateur succombera-t-il à la même tentation, afin de demeurer dans son île mystérieuse ?
Tout en nuances et en subtilité, Guillaume Siaudeau a ciselé, de sa belle écriture, un joli roman doux-amer, qui, sans pathos aucun, à petites touches, traite du mal-être, de la solitude d’une génération sans grand espoir ni grandes ambitions. L’époque a les Rubempré et les Del Dongo qu’elle mérite, et même quelques jeunes Werther. J.-C. P.